RÉFLEXIONS DU GROUPE D’ÉTUDES DE L’ASSOCIATION NATIONALE DES AVOCATS HONORAIRES SUR LES TRAVAUX DE LA COMMISSION DARROIS

Au vu de la lettre de mission adressée par Monsieur le Président de la République à Maître DARROIS, le Groupe d’Études souhaitant contribuer à la réflexion menée par la Commission concernant la création d’une « grande profession du droit », formule les observations suivantes : En préambule, conscient d’une nécessaire évolution de la profession d’avocat en prolongement des réformes intervenues en 71 et 91, le Groupe d’Études mesure les conséquences découlant tant de la réglementation Européenne qui, en vu de la protection de l’utilisateur du droit, favorise la dérégulation et la suppression des monopoles, que de la concurrence des Cabinets anglo-saxons. La profession d’avocat aux contours incertains est devenue multiple et plurielle et il convient d’envisager cette évolution non seulement aux regards des champs d’activité, des structures d’exercice, de la formation, que de l’offre d’un meilleur accès au droit et à la justice.

Notre réflexion, sans avoir la prétention d’être exhaustive, porte :

a) sur la grande profession du droit, b) sur les structures d’exercice, c) sur la formation, d) sur l’accès au droit et à la justice.

1) LA GRANDE PROFESSION DU DROIT : Si, comme le préconise le Conseil National des Barreaux, il était envisagé la création d’une « grande profession du droit réunissant l’ensemble des juristes compétents dans toutes les matières », on mesure immédiatement les difficultés de l’entreprise et les bouleversements qu’elle induit. Se pose en premier lieu la question de savoir qui, parmi ces « professionnels » ont vocation à intégrer cette nouvelle structure. Certes le CNB n’envisage que l’intégration des professions réglementées (Avoué Avocats aux Conseils – Notaires – Huissiers – Administrateurs et Mandataires…). Cette liste est ouverte et le CNB et la Chancellerie considèrent d’ores et déjà acquise, l’intégration des Conseils en propriété industrielle et la possibilité pour les Avocats d’exercer en entreprise. Compte tenu des réticences, voir du refus exprimé par les Barreaux de Province, le Groupe d’Études souhaite qu’une large concertation intervienne avec les Barreaux de Province par l’intermédiaire de la Conférence des Bâtonniers qui a vocation à recueillir cet avis. En tout état de cause la réforme doit être expliquée et acceptée et non pas imposée. Il faut ajouter que l’intégration des Avocats en entreprise pose des problèmes complexes sur le plan de la déontologie et de l’indépendance. Le Groupe d’Études ne partageant pas l’optimisme du CNB et du Barreau de Paris s’est d’ores et déjà exprimé dans un rapport dont les conclusions étaient défavorables au projet. cf. rapport S’agissant des professions réglementées, en excluant les Avoués à la Cour dont la suppression est d’ores et déjà programmée, il est effectivement séduisant de prévoir l’intégration des Notaires dont les activités sont en grande partie identiques à celles de nos confrères spécialisés en Droit des Affaires. Si, comme la profession le souhaite, « l’acte sous signature juridique » voyait le jour il constituerait une première brèche du monopole des Notaires que rien ne justifie en dépit de l’exclusion de ces derniers de la Directive Service. Cela dit ce projet rencontrera à n’en pas douter une très forte résistance de la part des Notaires parfaitement organisés. Concernant les Huissiers, l’intégration de ces derniers s’avère délicate compte tenu de la duralité d’activité de cette profession au regard de l’exécution. Parmi les professionnels du Droit on peut aussi envisager l’intégration des commissaires priseurs, ce qui semble tout aussi délicat. A ce stade de la réflexion le Groupe d’Études s’interroge sur le fait qu’exclue la  » notion d’inter-professionnalité  » vocable susceptible de coexister avec la grande profession du droit, le problème de la collaboration avec d’autres professions, notamment celle du chiffre restant d’actualité.

Cela dit si la grande profession du droit voyait le jour, il est impératif : a) que la profession nouvelle ne soit pas exclue d’autres activités à caractère juridique (gérant de tutelle, Arbitre, Médiateur-Conciliateur), b) Cette réforme n’a de sens que si l’Avocat améliore sa position sur le marché.

Que deviendront les banques, les assureurs et les Experts comptables, notamment qui, de longue date, pratique la rédaction d’actes et concurrencent les Avocats. Si ce problème n’est pas réglé, ces concurrents amélioreront leur part de marché et la grande profession du droit ne gagnera rien à cette réforme. En définitive le problème du périmètre du droit est intimement lié à celui de la création de la grande profession et il serait impératif d’envisager la mise en place de sanctions efficaces.

2) LES STRUCTURES D’EXERCICE : On doit s’interroger sur les raisons pour lesquelles après la fusion des Avocats et des Conseils Juridiques, les Cabinets français composés de juristes compétents, n’ont pas d’avantage investit le marché du Droit des Affaires. Le Groupe d’Études estime que les Cabinets anglo-saxons, gérés comme des entreprises offrent des services correspondant à des besoins que les Cabinets français auraient pu satisfaire si les structures d’exercice avaient été modifiées depuis 91 et notamment par un développement des Sociétés de Capitaux. Le Groupe d’Études parfaitement conscient de cette évolution, considère que nos confrères menacés par ces structures anglo-saxonnes qui se développent tant à Paris qu’en Province et compte tenu de la diminution d’activité du judiciaire, doivent se préparer à des métiers nouveaux et ceci ne sera possible que par des investissements importants. La participation de capitaux extérieurs était-ce le seul moyen d’arriver à ce but ?

D’autres moyens de financement devraient être envisagés. En effet, l’entrée de capitaux extérieurs dans les structures d’Avocat serait de nature à compromettre l’indépendance de l’Avocat et le pouvoir de décision des professionnels. En tout état de cause la compétitivité ne sera rendue possible que par le regroupement des Cabinets permettant l’organisation des compétences de chacun autour des spécialisations. Il serait indispensable de favoriser ce regroupement par des mesures fiscales incitatives permettant notamment la transition entre SCP et Société Commerciale. Il conviendrait également d’aménager la fiscalité de la session d’entreprise à l’occasion d’un départ en retraite.

3) LA FORMATION : Une première constatation s’impose : Les facultés de Droit ne répondent plus actuellement aux nécessités de la formation des Avocats. Ignorant les besoins de la profession, l’Université connaît les mêmes problèmes avec les entreprises faute de connexions avec les professionnels. Si l’on constate quelques améliorations il est à craindre qu’à terme, si les Masters juridiques étaient organisés au sein des Écoles de commerce par exemple, se créent des inégalités comme il en existe entre l’Université et l’École. Pour s’en convaincre il suffit de rappeler les équivalences admises pour les étudiants diplômés de l’École Sciences Politiques. A notre sens la faculté devrait dispenser une formation juridique de base durant trois ans, après quoi il est indispensable que ceux qui souhaitent embrasser la profession d’Avocat soit orienter dans le cadre du Master 1 vers des disciplines visant l’exercice d’une profession judiciaire et juridique. Par ailleurs il devra également être prévu des stages en alternance permettant aux futurs Avocats d’être confrontés aux affaires et au fonctionnement des Cabinets. Il est également indispensable qu’au sein des facultés avec le concours des professionnels les étudiants connaissent exactement les filières qui sont source d’activité et habituellement désertés par les futurs Avocats notamment le Droit public – le droit de l’environnement – le droit des médias – le Droit européen – le Droit social et le Droit fiscal ainsi que les activités nouvelles telles que : médiation et arbitrage, alors qu’un trop grand nombre de nos futurs confrères sont attirés par le Droit pénal et Droit de la famille. En maintenant les Écoles Régionales, il faut en revoir l’enseignement trop orienté vers l’activité judiciaire en développant un enseignement pratique notamment en Droit publique et Droit des affaires en rappelant que l’École n’a pas vocation a développé un enseignement universitaire mais une pratique professionnelle en liaison avec les stages qu’il s’agisse du projet personnel ou du stage en Cabinet. Il est également indispensable de développer l’enseignement de la déontologie qui, compte tenu des réformes à venir a de plus en plus d’importance, la déontologie étant inséparable de la prestation juridique. Enfin la formation continue devra être maintenue et intensifiée, la nouvelle profession et les nouveaux champs d’activité postulant une grande compétence du professionnel et le respect de la déontologie. Le Groupe d’Études au regard de la gouvernance de la profession estime que le CNB doit être renforcé de ces missions telles que prévues par l’article 21 de la loi du 31 Décembre 1971 et que doit être favorisé le regroupement des Barreaux au niveau des Cours d’appel et que les relations institutionnelles entre les Barreaux et le CNB doivent être resserrées. Quant à la régulation des règles professionnelles il doit y avoir une concertation entre la Chancellerie et le CNB.

4) L’ACCES AU DROIT : L’État devant garantir aux citoyens l’accès au droit et à la justice, l’objectif de l’Aide Juridictionnelle est de permettre à toutes personnes dont les ressources sont insuffisantes cet accès au droit et à la justice. Or cet objectif n’est pas atteint et le financement qui relève de la représentation nationale est la question récurrente qui doit trouver solution. En effet, de longue date les Avocats sollicitent une revalorisation de l’indemnisation de l’Aide Juridictionnelle dans l’attente d’une rémunération promise depuis le protocole du 18 Décembre 2000 et une refonte de l’Aide Juridictionnelle. Il est avéré que l’indemnité versé aux Avocats ne correspond en rien aux exigences de rentabilité d’un Cabinet. Dans le cadre de cette réforme les préconisations du Groupe d’Études rejoignent celles exprimées par un certain nombre d’organisation : a) Le redéploiement du budget affecté à l’Aide Juridictionnelle totale ou partielle à la catégorie de population la plus démunie, ce redéploiement permettant de financer une juste rémunération de l’Avocat, b) Mise en place d’un Fonds pour l’accès au droit et à la justice géré par une autorité indépendante comprenant des représentants du pouvoir public et des professions judiciaires. Alimentation du Fonds par une taxe sur les contrats de Protection Juridique. La répartition de ces fonds sera destinée à la rémunération des praticiens assurant la protection des justiciables non exigibles à l’Aide Juridictionnelle totale, le surplus des honoraires étant dus par le justiciable au praticien après établissement d’une convention d’honoraires. Soulignons enfin la portée de la loi du 19 Février 2007 sur le contrat de protection juridique dont il faut favoriser l’extension par une incitation fiscale. Le développement de ce contrat allègera pour une part importante le budget de l’Aide Juridictionnelle en assurant aux Avocats une rémunération permettant d’assurer la rentabilité du Cabinet. A noter que le groupe d’Études est opposé à la fonctionnarisation de l’Avocat dans le cadre de l’Aide Juridictionnelle. Enfin il convient de prévoir une application beaucoup plus rigoureuse de l’Article 700 en incitant les Avocats à fournir les justificatifs aux magistrats de manière à ce que ce dernier puisse procéder à une juste évaluation. Il convient enfin de rappeler que l’État exerce un recours effectif envers le plaideur qui n’est pas bénéficiaire de l’Aide Juridictionnelle et qui est condamné aux dépends.

5) CONCLUSION : Cette réflexion qui n’engage que le Groupe d’Études a été menée sans apriori. A ce stade on doit s’interroger : – Est-ce une réforme possible ? – Doit-elle connaître l’ampleur suggérée par le CNB ? – Faut-il procéder par étapes ? – Ces réformes ne dénatureraient-elles pas la profession ? – Ne doit-on pas craindre l’individualisme des Avocats et la prépension à ce que rien ne change ? Le Groupe d’Études conclura par une note d’optimisme car les Avocats sont conscients de leurs difficultés et de l’internationalisation du Droit. Nombre d’entre eux souhaitent que la profession évolue, s’organise et investisse d’autres champs d’activité. Dans d’autres temps la profession a su évoluer. Pourquoi ne poursuivrait-elle pas cet objectif ?