RÉFLEXIONS SUR LE PROJET DE LOI OUVRANT LE MARIAGE AUX COUPLES DE MEME SEXE :

Pour dissiper toute équivoque précisons qu’aucun jugement n’a été porté sur l’opportunité d’un tel projet, son étude uniquement inspirée par des considérations juridiques excluant toute polémique ou prise de position sur le plan confessionnel ou politique. En effet, le Groupe d’Etudes s’est essentiellement interrogé sur la « compatibilité » du projet de loi avec les principes à valeur fondamentale formant le bloc de constitutionnalité et, dans la négative, si l’adoption du projet nécessitait préalablement une modification de la Constitution. Tel a été l’objet de la réflexion contenue dans le rapport ci-après du Groupe d’Etudes de l’Association Nationale des Avocats Honoraires.

Monsieur le Bâtonnier Jean-Pierre PICARD, Président de l’Association Nationale des Avocats Honoraires

Problématiques juridiques du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

1) Quelles sont les innovations et la portée exacte du projet ?

Elles sont au nombre de deux , chacune faisant l’objet d’un chapitre.

Le Chapitre Ier de ce projet relatif au mariage se propose de modifier 94 articles du Code Civil et, par voie de conséquence, un certain nombre d’articles du Code de l’action sociale et des familles, du Code de la défense, du Code de l’environnement, du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, du Code Général des impôts, du Code de Justice militaire, du Code des pensions civiles et militaires de retraite, du Code des pensions militaires d’invalidités et des victimes de guerre, du Code de procédure pénale, du Code de la sécurité sociale, du Code du travail, ainsi que des statuts de la fonction publique de l’Etat, des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière. Pour faire bref, comme le dit l’exposé des motifs, alors que jusqu’à présent il allait de soi que la différence de sexe était une condition fondamentale du mariage en Droit français, son non respect constituant une cause de nullité absolue du mariage, le projet supprime cette condition découlant de la nature humaine pour permettre à des personnes de même sexe l’accès à l’institution du mariage. Par voie de conséquence, les mots « père et mère » disparaissent du vocabulaire et sont remplacés par les mots « parents » (ou bien par les mots « parent 1 – parent 2 »).

Le Chapitre IIème est relatif à l’adoption et au nom de famille. Telle qu’elle est organisée dans le Code Civil, le but premier de la filiation adoptive n’est pas de combler un désir d’enfant puisque des couples ayant déjà des enfants peuvent en adopter d’autres, mais le but de la filiation adoptive est de donner une famille à un enfant qui n’en a pas ou qui n’en a plus par suite de la disparition de ses parents, ou de l’abandon de l’enfant, déchéance des parents, etc.. Le but est de permettre à l’enfant de se reconstruire et de retrouver autant que possible une vie normale. L’adoptant peut, dans cet esprit et sous des conditions précises, être un célibataire, lequel est toujours susceptible de se marier. Par contre, la Loi ne permet pas l’adoption par deux personnes de même sexe et c’est cette règle que le projet se propose d’abolir.

2) Quelles sont les questions que le projet est susceptible de poser au regard des règles constitutionnelles ?

a) Pour répondre à cette question, il convient de déterminer si les dispositions du Code Civil relatives au Droit de la famille ont une valeur constitutionnelle. La Constitution ne comporte pas de référence expresse à la famille. Toutefois le Préambule se réfère expressément à la Déclaration de 1789, elle-même confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 dont l’alinéa 10 précise : « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », la famille n’étant pas pour autant définie. Pour cerner le problème, il faut se rappeler que le Conseil constitutionnel a étendu son contrôle à ce qu’il est convenu d’appeler le « bloc de constitutionnalité », c’est-à-dire à un ensemble de principes fondamentaux auxquels il reconnaît une valeur constitutionnelle. Citons parmi les « principes fondamentaux  reconnus par les Lois de la République » la liberté d’association, la liberté individuelle, la liberté de conscience, la liberté de l’enseignement, le respect des droits de la défense, la protection de la propriété immobilière par l’autorité judiciaire, l’atténuation de la responsabilité des mineurs et le droit pour eux à un traitement pénal adapté, etc.. Pour être complet rappelons qu’en vertu de l’article 55 de la Constitution les traités signés et ratifiés par la France ont une valeur supérieure aux Lois et que le Conseil Constitutionnel contrôle la compatibilité des Lois avec ces traités ou Conventions internationales. b) Ceci étant rappelé, quelle est la valeur du principe, non contesté jusqu’à une époque récente, comme le rappelle l’exposé des motifs du projet, suivant lequel « le mariage suppose l’union d’un homme et d ‘une femme » ? A cet égard, la jurisprudence des plus hautes juridictions nous donne un éclairage précieux. Ainsi, dans son arrêt du 13 mars 2007 la Cour de Cassation a confirmé l’annulation d’un acte de mariage de deux personnes de même sexe (célébré par Monsieur Noël MAMERE) au motif que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d ‘une femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention Européenne des Doits de l’Homme et de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne ». De même, dans un arrêt du 7 Juin 2012, la Cour de Cassation a refusé l’exequatur d’un jugement canadien prononçant l’adoption conjointe d’un enfant par deux personnes de même sexe non mariées, au motif «qu’est contraire à un principe essentiel du Droit français de la filiation, la reconnaissance en France d’une décision étrangère dont la transcription sur les registres d’état civil français emporte inscription d’un enfant comme né de deux parents de même sexe». Interrogé sur le point de savoir si les dispositions du Code Civil interdisant le mariage de personnes de même sexe sont conformes à la Constitution , la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 novembre 2010, renvoie au Conseil Constitutionnel au motif que « les questions posées font aujourd’hui l’objet d’un large débat dans la société, en raison, notamment, de l’évolution des mœurs et de la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe dans les législations de plusieurs pays étrangers… qu’il y a lieu, dès lors, de les renvoyer au Conseil Constitutionnel». Or, que nous répond le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 28 janvier 2011? Après avoir rappelé la possibilité de recourir au P.A.C.S. il déclare que « le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe » et il ajoute : « qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles des droit de la famille ». On peut donc raisonnablement craindre que le projet tel qu ’il est rédigé ne contrevienne à un principe essentiel du droit français ayant valeur constitutionnelle. On peut aussi s’interroger sérieusement sur la compatibilité de l’adoption d’un enfant par des personnes de même sexe avec la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 26 janvier 1990 publiée par le décret du 8 Octobre 1990 et qui s’impose donc au législateur. En effet, son article 3-1 stipule « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » ; idem, son article 21 stipule « les Etats parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la condition primordiale en la matière », et enfin, son article 7-1 stipule « l’enfant a (…), dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents ». Au terme de ces articles, l ’intérêt supérieur et primordial pour l’enfant est évidemment de lui redonner une famille de substitution aussi semblable que possible à sa famille d’origine, laquelle était naturellement constituée d’un père et d’une mère. Compte-tenu des difficultés juridiques sérieuses d’ordre constitutionnel et conventionnel auxquelles le projet dans sa rédaction actuelle risque d’être confronté, ne serait-il pas plus sage , plutôt que de bouleverser le droit de la famille et de la filiation, d’améliorer et, si nécessaire, de compléter, les dispositions législatives actuelles sur le P.A.C.S. pour répondre aux préoccupations essentielles des personnes de même sexe? Le législateur serait sur un terrain juridique beaucoup plus solide puisque, dans sa décision du 9 novembre 1999, le Conseil Constitutionnel a jugé « qu’en instituant une nouvelle communauté de vie » « les dispositions relatives au pacte civil de solidarité ne mettent en cause aucune des règles relatives au mariage (civil et républicain) ».