RÉFLEXIONS DU GROUPE D’ÉTUDES DE L’ASSOCIATION NATIONALE DES AVOCATS HONORAIRES CONCERNANT LA REFORME DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE :

Le débat qui s’est ouvert après l’affaire D’OUTREAU avait suscité beaucoup d’espoir. Malheureusement la loi du 5 Mars 2007 qui s’est inspirée de certaines propositions de la Commission Parlementaire n’a nullement répondu à cette espérance et l’occasion unique d’engager une réforme d’ensemble de la procédure pénale n’a pas été saisie. Le Groupe d’Études avait, courant 2006, formulé des propositions touchant notamment au statut du mis en cause et du gardé à vue en préconisant un sensible renforcement des droits de la défense comme ceux de la victime et en envisageant l’intervention d’un Juge du Siège investi de la mission d’arbitrer les conflits nés entre le Parquet et la Défense concernant les investigations : telles qu’auditions de témoin – expertises – vérifications d’indices, face au refus opposé par l’Officier de Police Judiciaire ou le Parquet. Concernant le Juge d’Instruction, si des avancés sensibles avaient été préconisées pour assurer un meilleur équilibre entre le Parquet et la Défense, sa suppression n’avait pas été envisagée encore que nous souhaitions une modification profonde de l’institution dont l’activité était souvent cantonnée à la surveillance de enquêtes de Police, aux retours des commissions rogatoires ou à la réalisation d’actes formels.

La réflexion initiée en Octobre 2008 à la demande du Président de la République et du Premier Ministre, lesquels ont souhaité une réforme du Code de Procédure Pénale favorisant un dispositif plus équilibré et pleinement contradictoire dès l’origine du procès, comme la mission donnée par Madame la Garde des Sceaux à la Commission présidée par Monsieur l’Avocat Général LEGER, traduisait une volonté politique d’aboutir à une réforme profonde toujours annoncée mais jamais réalisée. En s’inspirant de la lettre de mission donnée à la Commission, il convient de rappeler les axes essentiels de cette réflexion : a) Objectif de clarté et de simplicité, b) Renforcement et harmonisation des droits de la Défense intégrant la notion d’équilibre et de dignité, c) Interrogation sur l’introduction d’une procédure d’habeas corpus dans notre Droit et sur la garantie d’une présentation rapide de la personne arrêtée devant un Juge, d) Renforcement de l’aspect contradictoire de l’enquête initiale et intervention de l’Avocat durant la garde à vue conçue autrement que dans le cadre d’une simple entrevue sans accès au dossier, e) Meilleure prise en compte du droit des victimes. A partir de ces orientations, le Groupe d’Études, à l’issue de sa réflexion, est en mesure de formuler des propositions selon schéma s’ordonnant comme suit :

a) Enquête préliminaire (notion de mis en cause et renforcement des Droits de la Défense), b) Suppression du Juge d’Instruction et création d’un Juge de l’Enquête et des Libertés, c) Chambre de l’enquête et des Libertés, d) Droits de la victime, e) Détention provisoire, f) Secret de l’Instruction.

I/ L’ENQUÊTE PÉNALE

Soulignons en préambule que la réflexion doit nécessairement prendre en compte les principes édictés par la Convention Européenne des Droits de l’Homme et singulièrement les Articles 5 et 6 de la dite Convention. Nous ne pouvons en effet ignorer ce texte, dans le cas contraire ce serait à très brève échéance la remise en cause de la réforme. Cela dit cette réforme sera une réussite si elle énonce en quelques principes simples à partir de l’Article préliminaire du Code de Procédure Pénale lequel définit cette dernière « comme devant être équitable et contradictoire en préservant l’équilibre du droit des parties et en garantissant la séparation des autorités de poursuite et de jugement ».

Il relève de l’évidence que les principes ci-dessus définis ne trouvent pas application dans la procédure actuelle et qu’il est temps de repenser les principes de l’enquête pénale. – Dans 95% des enquêtes l’Avocat n’a accès au dossier que 10 jours avant l’audience. – Où est la place du Juge d’Instruction qui est amené à prendre une décision sur l’action publique avant jugement ?

Cette action publique comporte deux phases : L’une portant sur les investigations policières qui doivent demeurer inquisitoriales et l’autre portant sur la culpabilité d’une personne, phase qui devrait être contradictoire. a) La phase d’investigation policière : Elle est l’œuvre des Services de police ou de gendarmerie chargés de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et de rechercher les auteurs soit d’office, soit à la demande du Procureur de la République. Cette phase intervient soit en cas de crime flagrant ou de délit puni par une peine d’emprisonnement à charge par les Services de police d’aviser immédiatement le Procureur de la République, soit dans le cadre d’une enquête préliminaire avec pour finalité d’aboutir à une procédure d’information. Il nous est apparu qu’il était inutile de maintenir ces deux formes d’enquête dans la mesure où le Juge d’Instruction disparaissait et que la distinction à opérer entre les deux types d’enquête réside dans les pouvoirs illimités de l’officier de police judiciaire en cas d’enquête flagrante. Cette phase d’investigation va consister d’une part en des recherches d’éléments matériels (prélèvements, saisies, perquisitions conservation des indices) et d’autre part dans la collecte des dépositions, l’officier de police judiciaire interrogeant toute personne susceptible de fournir des renseignements. A ce stade l’atteinte possible aux Droits de l’Homme et à l’inviolabilité du domicile postule que la perquisition soit autorisée par un Juge du Siège en l’occurrence le Juge de l’Enquête et des Libertés, ce qui constitue une innovation.

Enfin, s’il existe des raisons plausibles qu’une personne ait commis une infraction ou ait tenté de la commettre, il faut laisser à la police un temps suffisant pour lui permettre de mettre en évidence ces raisons plausibles. Dans cette hypothèse l’audition du présumé mis en cause ne devra intervenir que dans le délai de 4 heures sauf modulation possible pour des affaires de terrorisme ou de crimes organisés ou de trafic de drogues.

b) L’imputation des faits à une personne : C’est une seconde phase. Dès l’instant où il résulte d’indices matériels ou de déclarations de témoins qu’il existe des raisons plausibles de croire à une participation à une infraction, la procédure doit devenir contradictoire. Il nous faut alors définir le statut de la personne sur laquelle pèsent les soupçons. Il existe en effet une zone de non droit lorsque dans le cadre de la 1ère phase d’investigation cette personne est l’objet d’une audition. S’il apparaît que cette personne s’estime l’objet de soupçons et que des indices matériels permettent de présumer sa participation à des faits répréhensibles, il lui appartient de revendiquer le statut de « Mis en cause »et de solliciter l’assistance d’un Avocat, et à cet effet d’être préalablement informé de cette possibilité. A ce stade l’officier de police judiciaire doit acter cette demande dans la procédure.

Ce statut implique que la personne soupçonnée soit assistée d’un Avocat qui aura accès au dossier et possibilité de solliciter des actes (auditions de témoins, expertises). En cas de refus opposé aux demandes d’actes, le mis en cause pourra saisir le Juge de l’Enquête et des Libertés qui, en sa qualité d’arbitre, appréciera l’opportunité de faire droit ou non aux demandes d’actes, possibilité étant offerte en cas de refus de ce Juge de saisir la Chambre de l’Enquête et des Libertés. A ce stade, le Groupe d’Études n’a pas, au vu du contenu du pré-rapport de la Commission LEGER, saisi l’intérêt de la distinction entre « Régime simple et renforcé », ce qui complique inutilement la procédure, il s’en tient à une définition simple en supprimant la notion de « garde à vue » à laquelle se substituera la notion de « mis en cause ». Il convient de souligner qu’à l’heure actuelle les Services de police utilisent de manière trop fréquente et hâtive la garde à vue en espérant recueillir un aveu plutôt que de poursuivre les investigations et la recherche d’indices matériels permettant d’établir la participation aux faits de la personne entendue.

c) La durée de l’enquête : Elle devra être déterminée selon la nature des faits recherchés. Il appartiendra au Juge de l’Enquête et des Libertés de contrôler cette durée comme celle de la conduite de l’enquête. Ce ne sera que s’il apparaît des indices graves et concordants mis en évidence contradictoirement que le Parquet prendra la décision de renvoi devant un Juge, cette notion d’indices graves et concordants marquera la fin de l’enquête et non son début de manière à respecter la présomption d’innocence.

d) L’instruction : Les préoccupations touchant à la phase de l’Instruction ne sont pas nouvelles. En 1949, le professeur DONNEDIEU DE VABRES préconisait déjà la suppression du Juge d’Instruction. Plus récemment, le 15 Novembre 2001, Monsieur JF BURGELIN alors Procureur Général près de la Cour de Cassation, s’exprimait en ces termes : « Le Juge d’Instruction a bien rempli son office pendant deux siècles, mais il a fait son temps. Il va falloir regrouper le Parquet et l’Instruction, pour simplifier l’organisation judiciaire. Il faut un Parquet qui poursuive, instruise et soutienne l’accusation face à une défense qui joue pleinement son rôle sous le regard du Juge Arbitre ». De tels propos s’inscrivent dans des débats antérieurs, ayant abouti au rapport de Madame DELMAS MARTY, chargée en 1990 par le Garde des Sceaux de réfléchir à une réforme de l’instruction préparatoire. Il est à noter que les conclusions de ce rapport sont restées lettre morte. En cet état, il est sans doute préférable de poursuivre un objectif simple plutôt que de s’ingénier à renforcer un système dépassé. Le Juge d’Instruction a été effacé des juridictions dans lesquels n’existe pas un pôle d’instruction et nous rappellerons que 95% des poursuites sont exercées par le Parquet sans recours à une information. D’autres voies de poursuite démontrent leur efficacité par des peines prononcées dans des délais plus raisonnables que ceux découlant d’une instruction. La finalité de cette réforme est de confier aux enquêteurs le soin d’enquêter, au Parquet de diriger la police judiciaire et d’exercer les poursuites et enfin au Juge le soin de juger. C’est une stricte séparation entre les autorités de poursuite et de jugement. Naturellement la suppression du Juge d’Instruction a suscité des critiques, les opposants à cette réforme considérant que confier les poursuites au Parquet constitue un recul des libertés individuelles. Selon eux le Juge d’Instruction est un Magistrat du Siège, indépendant à la différence du Magistrat du Parquet soumis à la hiérarchie du Garde des Sceaux, la suppression du dit Juge d’Instruction entraînant la mainmise du pouvoir politique sur les poursuites. Un tel raisonnement procède d’une confusion entre l’initiative des poursuites et le déroulement de l’enquête et d’une méconnaissance du système actuel qui a pour conséquence que le Juge d’Instruction ne peut informer qu’après avoir été saisi par le Parquet en vertu d’une réquisition de ce dernier ou par la constitution de partie civile. Dans ce contexte le Parquet a donc bien l’initiative des poursuites. Quant à son statut, il est exact que le Magistrat du Parquet est soumis à un lien hiérarchique, mais ce lien n’apparaît pas choquant dès lors que l’Action Publique dispose d’une place identifiée dans le déroulement du procès pénal. Ajoutons qu’il n’est pas choquant ou constitutif d’un abus de droit ou de pouvoir, que l’accusation soit menée par un Magistrat sous l’autorité du Garde des Sceaux dès lors que la politique pénale fait partie de celle adoptée par le Gouvernement en harmonie avec les dispositions constitutionnelles et qu’il est nécessaire d’harmoniser cette politique pénale sur l’ensemble du territoire en évitant des initiatives individuelles générant une insécurité juridique et une inégalité dans le traitement des infractions. Mais les conditions d’une réforme réussie postulent :

e) qu’il existe des garanties qu’apporte un Juge du Siège, singulièrement le Juge de l’Enquête et des Libertés dont les fonctions seront essentiellement de veiller à l’égalité des Droits et à la possibilité pour le citoyen d’accéder à un Juge impartial dont la mission est de contrôler ce que fait le Parquet, b) que soit respecté l’objectif d’une nécessaire indépendance des membres du Parquet, indépendance garantie par les conditions de leur nomination et la gestion de leur carrière. Cet objectif peut être atteint à la faveur d’une refonte du CSM et par le rattachement de la police judiciaire au parquet. De manière à ne pas encourir la censure de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, laquelle a contesté au Parquet le statut d’autorité judiciaire faute d’une indépendance à l’égard des pouvoirs politiques, il convient en maintenant l’unité du corps de la magistrature, de définir « le métier » de magistrat du Parquet et la possibilité de devenir Juge du Siège, laquelle devrait être encadrée notamment au regard des ressorts géographiques dans lequel le métier de parquetier a été exercé et dans des délais strictement définis. c) de conférer au Parquet le statut de partie au procès. A ce stade de la réflexion le Groupe d’Études insiste tout naturellement sur les moyens humains et financiers qui devront être déployés : augmentation de l’effectif des Magistrats et des moyens financiers, au regard de l’aide juridictionnelle notamment. Le rôle de l’Avocat dans cette phase nouvelle nécessite une refonte complète de l’aide en matière pénale afin d’assurer l’égalité de traitement entre citoyens. Nous évoquerons pour mémoire la nécessité pour les Avocats d’acquérir une formation pointue les rendant aptes à exercer les nouvelles prérogatives au cours de l’enquête.

f) La Chambre de l’Enquête et des Libertés La légalité des actes du Parquet, comme le refus exprimé par ce dernier au regard des demandes d’actes avec décision confirmative du Juge de l’Enquête et des Libertés pourront être contestés devant une juridiction d’appel nommée Chambre de l’Enquête et des Libertés. f) Les Droits de la victime Partie à l’enquête elle bénéficie des Droits du contradictoire et de la défense (accès au dossier, assistance obligatoire). La victime pourra également faire des demandes d’actes au Parquet qui dans le délai d’un mois devra prendre position, à défaut ou en cas de refus le Juge de l’Enquête et des Libertés devra intervenir. La victime pourra également contester une décision de classement et saisir le Parquet par voie de constitution de partie civile avec recours au Juge de l’Enquête et des Libertés en cas de refus ou de silence de plus de 3 mois. g) La détention provisoire A cet égard nous adhérons au contenu du rapport d’étapes préconisant la durée maximale entre le début de l’incarcération et la comparution devant la Juridiction de jugement. A l’issue de ce délai le mis en cause devra être libéré avec éventuellement une mesure de contrôle judiciaire ou surveillance électronique. La décision de placement en détention est prise par le Juge de l’Enquête et des Libertés, le détenu pouvant à tout moment solliciter après du Juge de l’Enquête et des Libertés sa mise en liberté et en cas de refus auprès de la Chambre de l’enquête et des Libertés. Enfin, il faut aboutir à l’uniformisation des délais de procédure, appel et pourvoi en Cassation. h) Le secret de l’enquête Le Groupe d’Études préconise la suppression du secret de l’enquête, compte tenu des dérives que connaît ce principe systématiquement bafoué. Par contre, il affirme la nécessité de respecter le secret des investigations policières. En outre, il estime souhaitable de maintenir le secret professionnel et la sanction qui s’y attache à l’égard des personnes concourant à la procédure. Avant de clore sa réflexion, le Groupe d’Études rappelle l’opinion exprimée par le philosophe Paul RICOEUR : « La belle idée de la justice ne naît, ni d’une expérience morale, ni d’une contribution intellectuelle, mais d’une émotion extrême : le sentiment de l’injustice ». Les défaillances et dysfonctionnements stigmatisés à notre époque n’ont-ils pas comme cause essentielle l’absence de culture du doute au sein des juridictions ? Monsieur le Bâtonnier Jean-Pierre PICARD Rapporteur