RÉFLEXIONS DU GROUPE D’ÉTUDE SUR LE PROJET : LA JUSTICE AU 21EME SIÈCLE :

Madame le  Garde des sceaux, ministre de la Justice, au printemps 2013 a lancé un débat très ambitieux sur une réforme globale de la justice civile et pénale avec l’objectif d’une justice plus proche, plus efficace et plus protectrice. A cet effet elle a mis en place trois commissions de travail :
– La première sur le « Le juge du 21eme siècle » présidée par Monsieur Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de Cassation.
– La seconde « Refonder le ministère public » présidée par Monsieur Nadal procureur général honoraire près la Cour de Cassation
– La troisième « L’office du juge au 21e siècle » présidée par Monsieur Garapon.

L’ANAH considérant que le rapport de cette dernière commission était trop socio-philosophique et assez lointaine d’une approche concrète  sur les maux de notre justice et ses remèdes n’a élaboré des observations que sur les rapports Delmas-Goyon et Nadal.
Elle a constaté que les travaux publiés comportaient des suggestions d’action au civil et au pénal intéressantes et souhaitables mais que d’autres ne pouvaient pas être approuvées en raison notamment des risques de mise en cause d’une justice dévalorisée par une réduction de l’office du Juge.
Mais surtout notre association une fois de plus constate que l’Etat français affiche des réformes consistant essentiellement à gérer la pénurie des moyens financiers du service de la Justice.
Les rapporteurs des commissions eux-mêmes ont constaté que toutes les actions envisagées ne pourront êtres efficientes faute de financement.
Les Avocats Honoraires de France  qui ont exercé leur activité d’auxiliaires de justice pendant de nombreuses décennies sont les témoins, avec leur recul et leur expérience, du fait que depuis 50 ans les pouvoirs publics ont annoncé des réformes de la justice dont le financement n’était jamais assuré par les gouvernements successifs.
La Justice du 21e siècle, la dernière en date, est  plus riche en propositions que les précédentes mais on peut craindre comme par le passé que l’envergure du projet qui sera réalisé par la Ministre de la justice sera très réduite.
Nous pouvons penser que les nécessaires réformes de modernisation de la justice seront concrétisées lorsque le Parlement  doublera le montant du budget du Ministère de la Justice.

Justice du 21e siècle : Refonder le ministère public

I – Par une lettre de mission du 2 juillet 2013 la Ministre de la justice a chargé Monsieur Jean- Louis Nadal, Procureur Général Honoraire de la Cour de cassation de présider une commission chargée d’engager «  une réflexion approfondie sur les missions et les méthodes d’action du parquet au sein de l’institution judiciaire et dans la cité. Cette commission était composée de 45 membres dont trois avocats…

? Quatre thèmes ont été l’objet des travaux :élaboration et mise en œuvre de la politique pénale, direction de la police judiciaire, compétences du ministère public et organisation des parquets.

En novembre 2013 le Procureur général Nadal a remis un rapport de 120 pages et dressé le constat de la crise profonde que traverse le ministère public en France qui selon lui naît de l’ambiguïté de son statut, de l’accroissement considérable de ses missions au fil des années et de l’obsolescence de son organisation, notamment territoriale.

La commission pour répondre à ce constat a formulé 67 propositions précises et opérationnelles correspondants à 10 grandes orientations pour refonder le ministère public à savoir :garantir l’indépendance du ministère public à l’égard de l’exécutif, inscrire l’action du ministère public dans un cadre territorial élargi, redonner du sens et de la lisibilité à la politique pénale, repenser le traitement des enquêtes, tendre à une plus grande maîtrise des frais de justice pénale, moderniser l’organisation et le pilotage des parquets et restaurer l’attractivité des fonctions du magistrat du parquet. (voir en annexe la synthèse des 67 propositions de la Commission Nadal présentée en avril 2014 au groupe d’études de l’ANAH )

II – En septembre 2014 un document issu du cabinet de la ministre de la Justice Intitulé « 15 actions pour la justice du quotidien, une justice plus proche, une justice plus efficace, une justice plus protectrice ».Il s’agissait donc du projet retenu par la Place Vendôme à la suite du rapport Nadal pour la réalisation du grand dessein de la Garde des Sceaux  : « La justice du 21e siècle » et qui avait donné lieu à une grande messe en janvier 2014 à l’UNESCO.

Deux seules actions spécifiques concernaient le justice pénale, la 10 ème : « Réorganiser les parquets pour leur permettre de mieux accomplir leurs missions » et la 15 ème « Mieux garantir les libertés »

A la lecture de ce document on pouvait constater que les ambitions de réforme du pouvoir politique concernant la justice dans notre pays étaient réduites au regard de la réflexion du rapport Nadal :
? au sujet des parquets était prévue une expérimentation dans 6 TGI l’assistance des greffiers auprès des procureurs et des magistrats des parquets.
– la dotation d’un équipement téléphonique et informatique des parquetiers permettant d’accéder à distance à leur messagerie professionnelle.
? des efforts poursuivis en vue de combler les vacances de postes et de permettre tant au siège qu’au parquet un mise à niveau des effectifs des parquets.
? la modélisation de l’organisation des parquets en fonction de leur taille.
? l’aménagement des procédures d’enquête préliminaire et de flagrance dans le sens d’une simplification et d’une clarification des missions de chacun des acteurs.
– une réflexion conduite sur les modes de répression les plus efficients des contentieux de masse pour fluidifier le fonctionnement des parquets.
? des missions dépourvues de lien direct avec le fonctionnement des parquets confiées à d’autres autorités administratives ou judiciaires.
? était annoncée la publication prochaine d’ un décret en cours de rédaction décidant que la présence du ministère à certaines audiences serait rendue facultative et son intervention par conclusions ou réquisitions écrites.

Quant aux libertés mieux garanties étaient également annoncées :

? La modification de l’ordonnance relative au statut des magistrats afin d’améliorer leurs modes de recrutement, de tenir compte des évolutions du corps ,de l’organisation judiciaire et du fonctionnement des juridictions et de conforter le statut des magistrats et des juges de proximité (projet de loi organique doit être déposé au Parlement au premier semestre 2015).

? La spécialisation des juges des libertés et de détention nécessaire pour consacrer au regard de la multiplication de leurs domaines d’intervention et l’importance de leur rôle en terme de préservation des libertés .Ils seront nommés par décret du président de la République.

III- Plus récemment ,le 10 février 2015 le cabinet de la ministre communiquait un nouveau document : « Plan d’action pour le ministère public, Point d’étape ».

Il précisait que ce plan d’action était issu de 22 propositions du rapport Nadal et 2 propositions du rapport Delmas-Goyon. Il comporte 20 actions pour assure l’adaptation du ministère public aux enjeux actuels.

Il précise également et un an plus tard 40 mesures- qui ne sont pas d’ailleurs énumérées ont été mises en application ou le sont autour de 3 axes :

1/ Améliorer les conditions de travail.
2/ Améliorer l’efficacité de l’action publique.
3/ Adapter le droit et le traitement de certains contentieux (Voir en annexe le document de la Chancellerie).

Pour ce faire une révision constitutionnelle avait été prévue mais elle n’a pu être parce-que le congrès n’a pas été réuni faute d’une majorité qualifiée. Cette révision avait pour but l’alignement du régime disciplinaire des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège.

Enfin il était indiqué qu’un projet de loi organique est en cours d’élaboration qui préciserait le périmètre de l’autorité du garde des Sceaux sur les magistrats du parquet au regard de l’interdiction des instructions individuelles.

IV – Avis du groupe d’études de l’ANAH :

Du point de vue de la justice pénale du 21 e siècle le projet de la Chancellerie comporte de très nombreuses mesures acceptables et même nécessaires qui devraient permettre aux juges du siège et des membres du parquet avec des moyens matériels modernes de remplir leurs fonctions dans des conditions plus efficaces et ce dans l’intérêt de la société française. Encore faudrait il que l’Etat donne les moyens financiers et humains pour passer de la déclaration d’intention de réformer à la réalisation effective .Au départ du débat sur la justice du 21e siècle l’ambition de réformer la justice civile et pénale était très encourageante ,mais quelques mois plus tard on peut constater que le projet se limite souvent à des changements dans le détail des mesures retenues par la puissance publique l’effort financier de l’Etat étant insuffisant notamment pour augmenter le nombre de magistrats. Même si depuis quelques années le budget de la justice est à l’abri des coupes sombres dues à la crise économique et bénéficie chaque année d’une petite augmentation il n’est pas à la hauteur du projet de réforme. En ce qui concerne la réforme du parquet la modernisation du fonctionnement qui est proposée va dans le bon sens et ne justifie pas une critique ou un commentaire du «  plan d’action pour le ministère public ». Par contre l’ANAH dont les membres ont exercé la défense des droits des citoyens devant les juridictions pénales depuis de très nombreuses années restent sur une réserve ferme sur les mesures suivantes :

1/ L’amélioration des conditions de travail :

La ministre de la justice évoque l’adaptation des effectifs des parquets en mettant en avant que le pourcentage des promotions sortant de l’ENM affecté au parquet est en augmentation ( 56% en 2012).Par contre le gouvernement n’augmente pas l’effectif du corps judiciaire au niveau nécessaire pour une justice digne de la France. L’efficacité de la justice française a été passée au crible du Conseil de l’Europe. Le constat est sévère. Il indique que la France avec 11 juges pour 100.000 habitants est dans le bas du classement européen (l’Allemagne compte 25 juges pour 100.000 habitants).La dépense de justice par citoyen est la même en France que le Portugal. Le constat le plus inquiétant au regard de notre critique est qu’avec 2,9 procureurs pour 100.000 habitants la France est la lanterne rouge du classement européen. En comparaison avec les pays voisins on constate que l’Allemagne en compte 6,5,l’Espagne 5,3 et l’Italie 3,8 pour 100 .000 habitants. Pour que la justice française soit moins misérable et soit comparable aux pays voisins de même importance le budget du ministère de la justice doit être doublé. Le remède à cette situation choisi par la Chancellerie est le développement de l’assistance au magistrat par des greffiers assistants formés spécifiquement avec mission de faciliter le travail des magistrats en préparant les dossiers en amont. Encore une fois l’Etat chiche sur le financement du service régalien de la justice gère la pénurie .On ne peut accepter que la justice pénale tout particulièrement soit rendue au rabais en faisant des greffiers des pseudo substituts du procureur.

2/ Garantir l’indépendance du ministère public à l’égard de l’exécutif :

Le rapport Nadal en faisait sa première orientation et proposait d’inscrire dans la Constitution la principe de l’unité du corps judiciaire selon lequel l’autorité judiciaire comprend les magistrats du siège et du parquet. Dans cette logique la nomination des magistrats du parquet était soumise à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et le ministre perdait le pouvoir de proposer celle des procureurs de la République, des procureurs généraux et des membres du parquet de la Cour de cassation. Le texte du cabinet de la ministre Madame Taubira du 10 février 2015 sur le plan d’action sur la réforme du parquet rappelle que la révision constitutionnelle nécessaire n’a pas eu lieu du fait que le congrès à défaut d’une majorité qualifiée n’a pu être réunie. Cette réforme pouvait être considérée comme allant dans le sens de l’indépendance des procureurs du pouvoir exécutif mais pourtant pou l’ANAH cette solution n’est pas satisfaisante au regard des décisions prises à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg qui ont très clairement déclaré au visa de l’article 6 de la Convention européenne que le procureur n’est pas un magistrat. Cette jurisprudence favorable au procès équitable et aux droits de la défense doit interdire au pouvoir politique français de maintenir un corps judiciaire unique des juges du siège et des membres du parquet dans un statut commun. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement français résiste aux arrêts de la Cour européenne de Strasbourg. On se rappellera de la mauvaise volonté de la France quant à l’application de la jurisprudence de la Cour européenne sur la présence de l’avocat durant la garde à vue. Enfin Il est regrettable qu’en l’état actuel des intentions de la ministre n’aient pas été retenues les propositions 47 et 48 concernant d’une part de l’introduction d’une phase de contradictoire à l’issue des enquêtes longues et d’autre part l’assistance par un avocat au moment du déferrement.

En conclusion l’opinion de l’ANAH sur la mise en application de la justice pénale du 21ème siècle est donc très nuancée .La Ministre de Justice aurait pu mieux faire dans sa démarche pour la justice pénale du 21e siècle.

Jean-Michel Braunschweig
Observations du Groupe d’études de l’ANAH relatives au Rapport de M Pierre DELMAS GOYON (décembre 2013)

La réflexion portait sur : l’office du magistrat, ses périmètres d’intervention et l’organisation de son travail

I/ Observations générales relatives à l’objectif : Gérer la pénurie.

– La réflexion s’inscrit dans un cadre financièrement contraint :
Le rapporteur admet
– « …Rien de ce qui est écrit dans ce rapport ne pourra avoir quelque utilité  si on  laisse l’état de nos juridictions se dégrader à un point qui rende illusoire toute  réflexion sur  l’amélioration des modes d’intervention du magistrat et sur l’efficacité de son organisation…Les moyens qui lui sont consacrés sont largement inférieurs à ceux des autres pays développés »
– « Il faut le dire avec force : notre justice judiciaire a largement atteint ses limites. En de telles circonstances les perspectives du départ à la retraite, dans les quatre années qui viennent, de 1 400 magistrats, soit un chiffre sensiblement supérieur aux possibilités de recrutement pendant la même période, sont particulièrement inquiétantes ».

La marge de manœuvre du groupe de travail se trouvait donc limitée par l’objectif à atteindre : remédier à la pénurie des moyens

– La mauvaise solution proposée pour faire face à la pénurie :

Selon le rapporteur :«  Les fonctionnaires de justice, formés et compétents, sont prêts à compenser autant que possible la diminution du nombre des magistrats, moyennant une juste revalorisation statutaire ».
Il est suggéré des transferts de compétence aux greffiers alors que, d’une part il s’agit d’auxiliaires de justice qui ne peuvent recevoir aucune attribution juridictionnelle et qu’en outre ils sont eux-mêmes frappés par la pénurie !

Le rapporteur reconnait d’ailleurs : «  Le nombre des fonctionnaires de justice est actuellement très insuffisant pour faire face à leurs tâches ; Ils ne pourront pas accroître leur champ de compétence au-delà de ce qu’un effort résolu de recrutement leur permettra de leur confier. »

– L’absence de  référence à l’efficacité de la justice en Europe :
Il aurait été utile de s’inspirer des travaux de la Commission Européenne pour l’efficacité de la justice.

Cette commission qui existe au sein du Conseil de l’Europe, a pour objet l’amélioration de l’efficacité et du fonctionnement de la justice dans les Etats membres, et le développement de la mise en œuvre des instruments élaborés par le Conseil de l’Europe dans ce but.

Ses tâches consistent notamment à analyser les résultats des systèmes judiciaires , identifier les problèmes qu’ils rencontrent, définir des moyens concrets pour améliorer, d’une part, l’évaluation des performances des systèmes judiciaires, d’autre part le fonctionnement de ces systèmes.

A cet égard, son rapport d’évaluation des systèmes judiciaires européens du 9 octobre 2014) est édifiant en matière de budget puisqu’on apprend que la France consacre ainsi 1,9 % de son budget à la justice, pour une moyenne de 2,2 % dans le reste de l’Europe. Et depuis 2012, plus de la moitié de cette somme (50,4 %) est consacrée à l’administration pénitentiaire, et non aux tribunaux ou à l’aide judiciaire .La France étant au 37e sur 45 pays en matière de budget, dans l’ensemble européen

– L’absence d’ambition :
Le rapport est lié par la lettre de mission qui donne par avance des indications précises sur les conclusions qu’elle souhaite voir adopter L’absence de moyens ,évoquée à plusieurs reprises semble être considéré comme un fait accompli incontournable :il faut gérer la pénurie !

Des lors le projet ne comprend pas d’idées innovantes concernant le problème crucial du financement de l’accès à la justice.

Or il aurait été opportun de réfléchir au financement du Service Public de la Justice. Cette question considéré comme hors mission est capitale. La charge financière doit-elle reposer intégralement sur l’ensemble des contribuables ou en partie sur les usagers du Service Public ?

– L’absence de chiffrage :
Le rapport ne contient aucune indication chiffrée sur le financement de la réforme. Or comment concevoir qu’un projet puisse être envisagé sans que soit précisé son coût et les moyens pour le financer ? Ce serait comme se lancer dans la construction d’une maison sans connaître ni le budget des travaux ni le coût des matériaux !

II/ Approbations

Quatre orientations doivent être approuvées :
– Recentrer le juge sur son rôle décisionnaire

Son retrait de 31 commissions administratives est judicieux, mais l’ANAH  suggère que soit également prévue la possibilité de faire appel à un  Avocat Honoraire pour siéger dans ces commissions chaque fois que les textes le permettent ; cette faculté étant expressément prévue par son statut (art 13.3 du R I N (règlement intérieur national de la profession d’Avocat il est permis de s’interroger sur la proposition de confier La surveillance des épreuves du concours d’accès à la magistrature et au corps de greffier à «  des prestataires de service spécialisés » Cette formule est trop vague et devrait être précisée pour que soit vérifiée l’existence des garanties qu’exige l’organisation de tels concours La proposition de supprimer la tenue du répertoire civil et de le remplacer par la consultation d’un serveur informatique limiterait le droit d’accès aux documents administratifs tel qu’il est actuellement règlementé Ne pourrait-on envisager une centralisation par un organisme national qui pourrait être consulté et délivrer des copies.

– Favoriser le règlement amiable des différends :

Le rapport doit être approuvé lorsqu’il proclame :
«  Cette recherche d’une solution négociée  n’est évidemment acceptable que si elle respecte l’égalité des citoyens devant la loi en donnant à chacun la possibilité d’être pleinement informé, conseillé et assisté par son propre avocat. » Par contre, sans rendre obligatoire un préliminaire de conciliation à peine d’irrecevabilité, le rapport comporte des dispositions incitatives inacceptables, comme celles de faire du développement des modes négociés de règlement des litiges, un objectif de performance qualitative assigné aux chefs de juridiction Impartir au juge un objectif de performance qualitative, comme on impose un chiffre d’affaires à un vendeur détourne le juge de son office il n’est pas là pour tenir des statistiques ou pour faire des performances Le juge ne dispose d’aucun pouvoir pour éviter la remise en cause d’un accord initial fut-il excellent Ces dispositions sont irréalistes et superflues Le rapport souligne que l’écoute est au centre des attentes de justice. Il constate que le juge ne peut consacrer un temps suffisant à l’écoute, alors que « celle-ci est essentielle si l’on considère la « fonction de pacification sociale de l’acte de juger. »

Il reconnait à juste titre que cette écoute est en premier lieu celle de l’avocat. Mais il indique que ce dernier «  n’a lui-même qu’un temps limité à consacrer à l’écoute, malheureusement devenue aujourd’hui un luxe au regard des contraintes actuelles d’efficacité et de rentabilité.. » Regrettable image de l’avocat qui ne serait préoccupé que par la rentabilité Le rapporteur semble ne pas connaître « la fonction de pacification sociale de l’acte de défendre » ! Comment peut-il ignorer que les avocats sont tout autant que les magistrats des pacificateurs Il faudrait rappeler à cet égard le rôle essentiel de l’Avocat dans la phase précontentieuse. Combien de procédures sont évitées du seul fait de son intervention dissuasive ?

– Rationaliser le traitement de certaines infractions pénales :

Les orientations proposées peuvent être acceptées :
– Limiter l’intervention judiciaire.
– Redonner corps au principe d’opportunité des poursuites sous réserve que soient connus les critères d’appréciation du ministère public -renoncer à la systématisation de la réponse pénale.

Il suggère des pistes qui peuvent être approuvées :

– Éviter que les lois nouvelles n’assortissent systématiquement les interdictions qu’elles édictent d’une sanction pénale. Celle-ci devant être réservée aux atteintes les plus graves et à celles qui ne peuvent faire l’objet d’une autre sanction, administrative ou civile.
– Réserver expressément  la possibilité pour le justiciable de connaître ses droits et de faire valoir ses observations. « Il apparaît nécessaire que le contrevenant puisse, s’il le souhaite, se faire assister d’un conseil avant d’accepter une transaction. »

l – Créer un véritable juge de l’enquête ce qui permettrait de donner une plus large place au débat et à la contradiction, l’idéal étant d’ aller jusqu’au contrôle préalable du juge de l’enquête avant toute saisine de la juridiction de jugement.

– Utiliser les nouvelles technologies

A supposer que le système de communication électronique fonctionne correctement son usage doit être assorti de garanties notamment en ce qui concerne le respect du principe du contradictoire et reposer sur l’accord des parties.
Par contre il est à craindre une banalisation de l’accès au juge de sorte que l’acte de saisine d’une juridiction par voie électronique est inopportun.

III/ Désapprobations

La création d’un Greffier juridictionnel :

Cette disposition est formellement désapprouvée. En raison de son statut particulier le greffier ne peut recevoir un pouvoir décisionnel. Des lors que le projet prévoit un recours contre ses décisions cela prouve bien qu’il exercerait une compétence juridictionnelle. Le greffier est un auxiliaire de justice  chargé tout au long de l’instance judiciaire de garantir le respect et l’authenticité de la procédure. Les auxiliaires de justice qui ne sont pas investis de la fonction de trancher les litiges à l’instar des magistrats, participent par l’exercice de leur profession au fonctionnement quotidien du Service Public de la Justice.Si l’on donne au greffier un pouvoir décisionnel il n’est plus un auxiliaire de justice. Le groupe d’études de l’ANAH est formellement opposé aux transferts de compétence au greffier qui doit rester extérieur à la procédure pour apprécier sa conformité aux règles du code de procédure civile.

Le transfert de compétence au Greffier juridictionnel ( divorce par consentement mutuel ) :

Il n’est pas possible de concevoir une compétence propre du greffier aux lieu et place du juge a fortiori dans un domaine où ce dernier est le garant de la réalité des consentements des parties et de la préservation des intérêts des enfants ou des époux (art 232 c civil). Il appartient au juge et à lui seul de vérifier l’équilibre des conventions matrimoniales. Le recours devant le juge n’étant prévu qu’à défaut d’homologation par le greffier c’est dire que le divorce par consentement mutuel deviendrait une « formalité ».

Les dé judiciarisations ,les transferts de compétence inopportuns :

Certes le rapport relève les limites de la déjudiciarisation comme mode de désengorgement des cours et tribunaux. Mais un tel procédé ne doit pas remettre en cause  :
– L’égalité des citoyens devant la loi en matière civile, les droits de la défense,  les intérêts des victimes en matière pénale, le droit d’accès à la justice et au juge en toutes matières, selon les principes définis par le droit européen.

– L’office tutélaire du juge :chargé  de contrôler  l’équilibre des droits des parties le respect des normes d’ordre public, qu’il s’agisse de droit de la famille ou de droit des contrats. Les déjudiciarisations et les transferts de compétence proposés qui ne respectent pas les principes précités doivent donc être écartés. C’est le cas en particulier:
– Du transfert des contentieux de l’aide sociale aux commissions départementales d’aide sociale en violation des principes d’indépendance et d’impartialité régissant l’exercice de fonctions juridictionnelles.
– De la déjudiciarisation des demandes de rectification des actes de l’état civil et les décisions déclaratives ou supplétives de l’état civil qui seraient de la compétence de l’officier d’état civil.

Ce qui est contraire à l’office tutélaire du juge affirmé par ailleurs par le rapport Le juge étant chargé de contrôler le respect des normes d’ordre public, en matière de droit de la famille, cela implique un contrôle préalable du procureur de la république.

– De l’assistance donnée aux greffiers par des agents des Finances publiques pour la vérification des comptes de tutelles. Un contrôleur fiscal ne peut être chargé d’une telle assistance. En l’état actuel celle-ci peut être apportée par les huissiers de justice L’art 1254 -1 du code de procédure civile prévoit que l’huissier de justice peut consulter l’ensemble des pièces relatives aux comptes figurant dans le dossier de la personne protégée, mais ne peut les communiquer à un tiers.

– Du transfert au greffier de l’homologation des demandes de changement de régime matrimonial Or il appartient au Juge et à lui seul d’apprécier si le changement est opéré dans l’intérêt de la famille, de recueillir l’avis des enfants, et de faire toutes investigations utiles.

– Du transfert au greffier des décisions relatives à la mise en état étape essentielle de l’acte de juger.

La suppression de l’écrit :

Nous sommes opposés au passage d’une procédure écrite à une procédure orale. Certes le juge ne pourrait pas imposer cette passerelle et l’accord des parties serait  indispensable mais  des craintes existent :
– Le juge n’incitera t il pas à la suppression de  l’écrit ; les parties  ne voudront pas indisposer le juge.Mais surtout le risque majeur concerne le respect du principe du contradictoire. Certes  l’actuel art446-1 NCPC dispose déjà que «  Les observations des parties sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal. ». En outre l’article 446-2 stipule que lorsque les débats sont renvoyés à une audience ultérieure, le juge peut organiser les échanges entre les parties comparantes. Si les parties en sont d’accord, le juge peut ainsi fixer les délais et les conditions de communication de leurs prétentions, moyens et pièces. Ainsi l’écrit fait nécessairement  son retour avec le respect du contradictoire !! L’oralité ne suffira pas il faudra bien produire un écrit !!!!!!où est le gain de temps ?  Nous sommes pour notre part opposé à cette  suppression de l’écrit.Il suffit d’appliquer les dispositions existantes sans aller au delà.

La politique de juridiction :

Le rapport vise à promouvoir « une politique de juridiction »ce qui n’est pas de nature à assurer une unité d’ensemble. Avec ce système il y aurait autant de politiques que de juridictions.

Or il nous semble
– D’une part qu’il faut préserver l’indépendance juridictionnelle.
– Et d’autre part maintenir une unité des décisions pénales de l’ensemble des juridictions.
Dès lors il ne paraît pas opportun d’aller au-delà des dispositions existantes (articles 35 et 39-1 du code de procédure pénale), qui font obligation aux procureurs de la République et aux procureurs généraux d’informer l’assemblée des magistrats du siège et du parquet de leur juridiction des conditions de mise en œuvre, dans leur ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la justice.

La généralisation de la double convocation en matière familiale :

Elle favoriserait les démarches de médiation mais le rapport ne peut rendre obligatoire ce préliminaire de conciliation « sauf à adopter une politique ambitieuse de financement qui viserait à l’instauration d’une véritable couverture juridique universelle, sur le modèle de la couverture maladie universelle, permettant une réelle prise en charge de la tentative préalable de règlement négocié, incluant le coût d’intervention d’un avocat ».
Cette réflexion au sujet de la «  couverture juridique universelle « est fondamentale. Elle évoque l’exemple de la couverture maladie universelle (CMU) qui existe dans le cadre du service Public de la Santé.N’est-il pas possible d’étudier des pistes en étudiant les modes de financement de la CMU ?

L’assistance du magistrat :

Si l’assistance du magistrat dans les recherches juridiques est concevable, il paraît surprenant de vouloir l’étendre à l’analyse juridique et à la rédaction alors que ces tâches doivent incomber au seul magistrat et sont de l’essence même de sa mission. Le groupe d’études considère inopportun l’établissement de notes par les assistants de justice en collaboration avec le corps professoral. Le juge est seul maître de l’argumentation qu’il doit adopter en toute indépendance sans se voir dicter sa décision par une note officielle qui figurerait au dossier.

Le recrutement de juges en service extraordinaire :

Ils seraient recrutés parmi les universitaires ce qui enrichirait la collégialité. Si le rapport contient des réserves sur la participation des avocats actifs spécialisés ; au moins pourrait-on faire appel aux Avocats Honoraires qui prennent leur retraite de plus en plus jeunes et dont l’impartialité est insoupçonnable !

L’assurance protection juridique:une amorce d’une solution ?

Le rapport relève que « La situation actuelle des finances publiques ne permet pas toutefois d’envisager de manière réaliste, à système constant, un relèvement des critères d’attribution de l’aide juridictionnelle ou un abondement significatif du budget de celle-ci. »

Selon lui il faut, soit trouver des modalités de prise en charge ne faisant pas appel au budget de l’aide juridictionnelle, soit dégager des ressources nouvelles. La première option concerne le dispositif de l’assurance de protection juridique (APJ), la seconde la recherche de ressources nouvelles par l’imposition d’une taxe.

Il indique à tort que «  les bénéficiaires de l’AJ totale n’ont pas toujours les moyens de souscrire une assurance multirisques habitation » Mais ils s’agit en principe de locataires or l’assurance multirisques est obligatoire pour les locataires depuis la loi du 6 juillet 1989 ; il suffirait donc de rendre obligatoire la garantie annexe de protection juridique dans de tels contrats d’assurance.

Le groupe d’études de l’ANAH a établi en août 2011 un rapport intitulé « L’ASSURANCE PROTECTION JURIDIQUE AU SECOURS DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE ».

Il préconisait 12 propositions pour améliorer l’accès au droit et la justice tout en allégeant la charge financière de l’état.

En particulier il suggérait de rendre obligatoire de plein droit la garantie protection juridique dans tous les contrats d’assurance obligatoire (le fondement de cette obligation étant identique à celui ayant conduit à rendre obligatoire la souscription du contrat d’assurance lui-même). C’était la voie proposée par le rapport DARROIS « inclure dans toute assurance de responsabilité obligatoire une garantie de protection juridique ».
Le projet DELMAS écarte l’option d’une APJ obligatoire, qu’elle résulte d’un produit d’assurance spécifique ou de l’inclusion de cette garantie nouvelle dans des contrats d’assurance déjà obligatoires ou très largement diffusés. Il indique à tort que «  les bénéficiaires de l’AJ totale n’ont pas toujours les moyens de souscrire une assurance multirisques habitation ». Mais ils s’agit en principe de locataires or l’ assurance multirisques est obligatoire pour les locataires depuis la loi du 6 juillet 1989. Le rapport précité de notre groupe d’études observait que très peu nombreux sont les justiciables, pouvant prétendre au bénéfice de l’aide juridictionnelle, qui effectuent préalablement une déclaration de sinistre à leur assureur pour tenter d’obtenir une prise en charge du coût du procès. Nous attirions l’attention sur le non-respect du principe de subsidiarité de l’AJ par rapport à l’assurance de protection juridique La loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique a instauré un principe de subsidiarité en vertu duquel la prise en charge des frais de justice au titre de l’aide juridictionnelle ne peut être accordée lorsque ces frais sont déjà couverts par un dispositif de protection juridique.

Ainsi la voie principale d’accès à la justice est l’assurance protection juridique mais dans les faits cette voie est largement inutilisée.

En lançant en avril 2011 une campagne d’information le Ministère de le Justice constatait pourtant que « la protection juridique qui connaît un fort développement ces dernières années, est souscrite par près de 40 % des ménages  français. Elle  aboutit dans 80% des cas à une solution amiable  des litiges de la  vie quotidienne. »

Les contrats de protection juridique ont  progressé de 2,5 % en 2013 pour un chiffre d’affaires moyen estimé à 1 milliard d’euros de prime.

Nous observions que les textes relatifs à la subsidiarité existent mais ne sont pas respectés. Le décret n° 2008-1324 du 15 décembre 2008 modifiant le  décret du 19 décembre 1991 stipulait que le demandeur d’AJ doit préciser : s’il dispose d’un ou plusieurs contrats d’assurance de protection juridique ou d’un autre système de protection couvrant la rémunération des auxiliaires de justice et les frais afférents au différend pour lequel le bénéfice de l’aide est demandé.
La justification de l’assurance de protection juridique dont il a déclaré le bénéfice par la production de tout document approprié ainsi que la décision de prise en charge ou de non-prise en charge notifiée par l’assureur ; précisant le montant des plafonds de garantie et de remboursement des frais, émoluments et honoraires couverts. L’arrêté du 27 février 2009 fixait le modèle de la décision de prise en charge ou de non-prise en charge de l’assureur de protection juridique à la suite de la déclaration de sinistre de l’assuré, demandeur à l’aide juridictionnelle.

Or ces textes n’ont pas été appliqués. Ils viennent d’être modifiés par le Décret n° 2014-1502 du 12 décembre 2014 et l’arrêté du 12 décembre 2014 fixant le modèle de l’attestation de non-prise en charge des frais de procédure délivrée par l’assureur.

Ces nouvelles dispositions seront mieux appliquées que les précédentes ? Il faut une volonté ferme de les voir appliquer. Il en va de l’avenir du système.

Notons par ailleurs qu’il est  contradictoire de vouloir inciter à souscrire des contrats de protection juridique et dans le même temps  de  taxer ces derniers.

CONCLUSIONS

Faute de chiffrage des moyens permettant de le mettre en place. Faute de référence aux autres systèmes judiciaires européens. Faute de réflexion approfondie sur le financement de l’accès au droit et à la justice ; le projet n’est (comme les précédents) qu’un palliatif, dont l’objectif n’est que de soulager les manifestations d’un dérèglement plus profond.

Christian BOEUF