CONTRIBUTION AU DÉBAT SUR L’ORGANISATION DE LA PROFESSION D’AVOCAT :

INTRODUCTION : L’organisation institutionnelle actuelle de la profession d’avocat devient inadéquate au regard des mutations profondes que subit cette profession depuis un peu plus de 20 ans.Ces mutations concernent à la fois l’exercice quotidien des avocats dont les champs d’activité se sont diversifiés ,la mondialisation du marché du droit, la difficulté de plus en plus ressentie dela pratique judiciaire et le statut économique et social. La profession a besoin de se réorganiser face aux enjeux considérables de son avenir. Pour se faire il est nécessaire de repenser les organismes ordinaux et de redéfinir leur articulation. Il s’agit du Conseil national des barreaux et des 161 barreaux. Il est aujourd’hui acquis que les intérêts collectifs des avocats exerçant en France ne peuvent être défendus que par une institution puissante sans concurrence avec d’autres institutions telles que les ordres dont le rôle doit également redéfini ou encore les organismes techniques ou les syndicats. Comme dans toute société démocratique la séparation des pouvoirs doit être affirmée dans leur complémentarité à savoir la représentation unique de la profession par un organisme national ,disposant du pouvoir normatif,les ordres étant l’éxécutif dans les territoires avec des batonniers garants du respect des règles professionnelles et les conseils régionaux de discipline constituant la jurisprudence de base des normes sous le contrôle des cours d’appel et de la Cour de cassation. Depuis de nombreux mois tous les acteurs de la profession sont en ébullition et s’expriment sur une nouvelle «  gouvernance »de la profession par des contributions riches de propositions,certaines révolutionnaires ,d’autres figées par un certain conservatisme et de ce fait sont très contradictoires faisant craindre un report des décisions. Le groupe d’études de l’ANAH a pris connaissance de tous les travaux d’origine ordinale et des syndicats et a entendu quelques sachants représentant la diversité des idées sur le sujet de la réforme de la gouvernance des avocats. Les avocats honoraires qui restent membres de leurs ordres ont souhaité ,comme sur d’autres thèmes donner leur opinion avec la distance qui est la leur n’étant plus impliqués dans les phénomènes de pouvoir à l’intérieur de la profession . De manière générale ils saluent la réflexion très profonde de ceux qui contribuent au débat actuel mais considèrent que bien des propositions sont complexes et rendent quelque peu illisible l’avenir de l’organisation institutionnelle de la profession d’avocat face à son futur . C’est la raison pour laquelle l’ANAH n’entrera pas dans les détails des mesures àprendre et entend livrer aussi simplement que possible la synthèse de son groupe d’études.Elle espère que s’il y a réforme elle soit non pas une usine à gaz ingérable mais une architecture limpide de qui fait quoi.

LES PROPOSITIONS DE l’ANAH :

1) Les Barreaux : L’ANAH considère que le maillage territorial des 161 barreaux(la ministre de la justice annonce le rétablissement de 4 T.G.I) doit être conservé auprès de tous les tribunaux de grande instance.Il est indispensable que les avocats installés dans le ressort d’un tel tribunal aient sur place un batonnier et un conseil de l’ordre les représentant auprès des chefs de juridiction pour l’organisation locale du fonctionnement de la justice et ce dans l’intérêt des justiciables qu’on oublie trop dans le débat interne à la profession. Un batonnier local à proximité de ses confrères peut immédiatement participer au règlement d’un incident concernant un avocat et des magistrats. Il est le garant du respect des règles déontologiques et l’autorité de poursuite devant le conseil de discipline constituant ainsi la protection des justiciables. Dans le même temps il constitue également la protection des membres de son barreau en cas de remise en cause de leur l’indépendance ou de toute atteinte au respect dû à tout avocat , un auxiliaire de justice participant au bon fonctionnement des juridictions. Les avocats honoraires sont donc hostlies à la création de barreaux de région qui regrouperaient de manière autoritaire les barreaux locaux ou les remplaceraient et seraient les intermédiaires entre ces derniers et l’institution nationale. La création de tels barreaux serait coûteuse et aurait obligatoirement un impact sur le montant des cotisations professionnelles.De surcroît ces barreaux de cour pourraient devenir des féodalités bureaucratiques dangereuses pour la nécessaire unité de la profession d’avocat au regard des pouvoirs publics représentée exclusivement par l’institution nationale. Cependant si des barreaux locaux éprouvaient le besoin de se regrouper librement L’ANAH n’y voit aucun inconvénient.Cette possibilité est d’ailleurs prévue par l’article 18 de la loi du 31 décembre 1971 qui permet à des barreaux « de mettre en œuvre par délibération conjointe les moyens appropriés pour régler les problèmes d’intérêt commun, tels : l’informatique,la formation professionnelle, la représentation de la profession, le régime de la garantie ».

2) La Mutualisation des services fournis par les barreaux à leurs membres : Pour des raisons de qualité, d’efficacité, de garantie et de minoration des frais de gestion les barreaux devraient volontairement et sans remettre en cause leur indépendance, mutualiser les services techniques mis à disposition des avocats. Cette tendance existe depuis plusieurs années et doit être encouragée. L’exemple le plus topique est le regroupement de carpa qui permet d’éviter d’éventuels sinistres faute d’une vigilance rigoureuse des maniements de fonds des clients et d’obtenir un meilleur rendement financier lié à l’importance des placements qui permettent à la profession de couvrir le fonctionnement des institutions ordinales et le coût de plus en plus considérable de la formation professionnelle des avocats qui en raison du désengagement croissant depuis longtemps de l’Etat est supporté de plus en plus par la profession.

3) La réforme du Conseil national des barreaux :

3-1- L’état actuel du CNB : On aura bien compris que l’ANAH n’est pas favorable à une organisation pyramidale de la profession d’avocat mais souhaite cependant dans les respect des prérogatives des barreaux et de leurs batonniers et de manière complémentaire une institution nationale puissante renforcée dans ses missions telles que fixées par l’article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 et pour se faire réformée dans sa composition.

La représentation de la profession par le CNB : La loi du 31 décembre 1990 qui a créé le CNB, établissement d’utilité publique la charge de représenter la profession d’avocat auprès notamment des pouvoirs publics.Cette mission est l’apanage exclusif de cette institution nationale élue par les avocats .Or malgré la loi cette exclusivité a été battue en brèche jusqu’à ce jour par le Barreau de Paris qui représente plus de 40 % de l’effectif de avocats exerçant en France ,la Conférence des batonniers qui regroupe tous les barreaux de province ,sans oublier les syndicats. Cette diversité est généralement défavorable à la défense légitime des intérêts généraux des 55.OOO avocats de ce pays.Les divergences traditionnelles entre le grand barreau de Paris et les barreaux de province liées à des modes d’exercice de la profession en partie différents demeurent et sont parfois brutales sur la place publique .La voix de la profession toute entière doit être unique et portée par le président de l’institution nationale auprès des pouvoirs publics et ce après un débat démocratique au sein du CNB après concertation avec le barreau de Paris,la conférence des batonniers et les syndicats. Or aujourd’hui après 21 années d’existence le CNB ne fonctionne pas de manière satisfaisante malgré ses pouvoirs reconnus par la loi,en raison du caractère hybride de cet organisme qui est le péché originaire de sa création à la faveur de la fusion des professions d’avocat et de conseil juridique. En tenant compte des divergences sur la nature du CNB exprimées par les différents acteurs de la réforme de 1990 le Parlement a fait un compromis en créant un conseil national hybride caractérisé par deux collèges paritaires l’un ordinal ,l’autre général essentiellement syndical ,chacun avec son système électoral particuliers. De ce fait une bonne partie des avocats connaît mal le CNB , et accepte dificilement la cotisation obligatoire en sus de la cotisation à l’ordre ne comprenant pas le rôle et l’utilité celui-ci. D’oû un débat très marqué entre ceux qui prônent un CNB demeurant un organisme hybride même modifié dans son système électoral compliqué pour le rendre plus représentatif des courants de pensée de la profession et ceux qui souhaitent qu’il devienne un ordre national des avocats. L’ANAH exprimera son choix dans la conclusion de cette contribution. Aujourd’hui le CNB peut être qualifié de parlement de la profession d’avocat et ce d’autant plus qu’il est doté par délégation de la puissance publique d’un pouvoir normatif.

Le pouvoir normatif du CNB : L’article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 permet au CNB dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur d’unifier par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession. Ce pouvoir subsidiaire des lois et décrets n’est plus contesté par personne et les décisions normatives du CNB sont publiées au Journal officiel de la République. Le Règlement intèrieur national ,régulièrement révisé en fonction des évolutions de l’exercice des métiers de l’avocat est le symbole de l’unification des règles déontologiques applicables directement à tous les avocats de France. Ce pouvoir normatif s’applique également à tous les textes concernant la formation professionnelle initiale ou continue de l’avocat, donc le CNB a la haute main sur cette formation. Ce pouvoir normatif confié par le législateur et reconnu par le gouvernement au CNB est exclusif et renforce le caractère primordial de cette institution.

L’accès des avocats ressortissants de l’Union européenne ou originaires de pays hors l’Union européenne : Tout avocat étranger qui désire s’inscrire dans un barreau français doit déposer un dossier au CNB étudié en son sein par la commission institutionnelle de la formation et dont la décision d’acceptation ou de refus est ratifiée par l’assemblée générale du CNB. Le rôle de filtre en la matière fait partie de la délégation de la puissance publique reconnue au CNB. L’ensemble de ces pouvoirs du CNB en fait aujourd’hui une autorité professionnelle Incontournable et nécessaire pour permettre aux avocats d’être reconnus par les particuliers et les entreprises comme une profession réglementée compétente, indépendante et dotée d’une déontologie très forte.

La communication institutionnelle de la profession : La communication n’est pas une mission légale du CNB. Néanmoins, par un consensus de l’ensemble des ordres le CNB a depuis quelques années pris en charge des campagnes de communication nationale sur les différents media.C’est une part non négligeable du budget annuel qui est réservé à ces campagnes. L’avocat est encore mal connu et perçu par le public qui le voit en robe et plaidant devant un tribunal. La réalité de l’exercice de la profession dans un champ d’activités considérablement ouvert dans le domaine de l’activité juridique est toute autre. Le CNB a engagé récemment des campagnes publicitaires assez réussies et qui participent à la découverte par les particuliers ou entreprises des compétences très diverses des avocats. Il faut laisser à l’institution nationale l’initiative de ces campagnes assistée de professionnels de la communication bien informés sur la nature de l’avocat et de ses activités diversifiées.

3-2- L’institution nationale de la profession d’avocat de demain : La nature de l’institution et sa dénomination : Les avocats honoraires du barreau français laissent à d’autres le débat sur le fait de savoir si elle sera un ordre national des avocats et comment elle sera dénominée. Pour certains des membres de l’ANAH cette institution ne devrait pas être un ordre national pour respecter l’indépendance des barreaux véritables executifs de la profession dans le cadre fixé par elle. D’autres seraient favorables à un ordre national dont les barreaux seraient les émanations. Il va de soi que la dénomination devrait être choisie en fonction de l’articulation des pouvoirs de l’organisme avec les barreaux. L’ensemble des membres du groupe d’études de l’ANAH est d’accord sur la prévalence du national sur le local et souhaite un renforcement des pouvoirs du premier comme étant le pouvoir réglementaire subsidiaire de la profession et après un débat démocratique en son sein l’organisme fixant la politique de la profession. Il résulte de cette position que le CNB peut parfaitement conserver son appellation actuelle sans rupture historique tout en étant modifié profondément dans sa composition. A la quasi unanimité du groupe d’études le CNB de demain ne devrait avoir qu’un collège issu des ordres qui garantirait de ce fait une cohérence de l’institution en évitant les contradictions parfois sclérosantes dans une dialectique entre le collège ordinal et le collège général parcouru lui-même par des positions antinomiques prises par des syndicats représentant des catégories d’avocats dont l’exercice n’a rien de commun le seul ciment étant l’adhésion à une profession réglementée et à son éthique très forte. Cela étant cette proposition ne doit absolument pas effacer le rôle des syndicats d’avocats qui sont les vrais laboratoires des idées de la profession dans un cadre d’adhésion volontaire facilitant la liberté d’expression et qui constituent un vivier riche formant les responsables à la tête des barreaux ou des autres organismes. Il faut bien comprendre que les syndicats ne sont pas des institutions.Ils doivent rester des forces de propositions ,d’innovation et de contestation ou protestation avec la liberté qui est leur avantage mais qui ne peuvent pas être à l’intérieur de l’institution nationale.On ne peut pas être en même temps dedans et dehors. L’ANAH propose que dans le cadre d’une loi de réforme ou d’un décret soit constituée une commission consultative permanente auprès du CNB qui serait obligatoirement consultée sur tous les projets normatifs ou non avant toute décision de l’assemblée générale du CNB,tous les travaux préparatoires étant communiqués aux membres de cette commission composée de chaque syndicat représenté par son président et un nombre de membres proportionnel pour chaque syndical au résultat d’une élection nationale au scrutin de liste pour une durée de mandat égale à celle des élus du CNB.Sur chaque projet un rapporteur désigné par la commission présenterait ses travaux et avis. La Conférence des batonniers représentée par son président et ses vice-présidents et le Barreau de Paris représenté par son batonnier et son vice-batonnier seraient comme les syndicats obligatoirement consultés sur tous les projets du CNB et auditionnés par l’aseemblée générale. Il conviendrait de supprimer les deux postes de vice-président de droit pour éviter une présidence à trois têtes et le président du CNB serait élu par l’assemblée générale et non au suffrage universel par tous les avocats. Les membres du CNB seraient tous élus dans un scrutin uninominal dans des circonscriptions de cour d’appel établies en fonction du nombre d’avocats. La pratique actuelle d’accepter dans les commissions de travail du CNB la présence d’avocats honoraires sans droit de vote doit être confortée par un texte.

Le pouvoir disciplinaire : L’ANAH, sous réserve des modifications de la procédure disiciplinaire envisagée par la Chancellerie ne souhaite pas changer la juridiction disciplinaire actuelle articulée entre l’autorité de poursuite du batonnier, l’instruction disciplinaire par un membre du conseil de l’ordre du barreau auquel appartient l’avocat poursuivi et le jugement par les conseils de discipline dans le ressort des cours d’appel. La discipline des avocats doit rester au sein de la profession au premier degré. Si on introduisait l’échevinage au niveau de la cour d’appel on risquerait de le voir imposé au premier degré et ce n’est pas souhaitable. La proposition du Bureau du CNB d’instaurer une chambre nationale de discipline qui serait l’émanation du CNB lui même est floue et des confusions pourraient apparaître entre le CNB auteur de la norme des règles professionnelles et le CNB par l’intermédiaire d’une chambre nationale le régulateur de l’interprétation de la jurisprudence disciplinaire au regard des textes. Même si certains conseils de discipline ne fonctionnent pas parfaitement (formation insuffisante de certains membres),la répartition des fonctions procédurales est satisfaisante.

CONCLUSION : Le groupe d’études de l’ANAH reste partisan de maintenir la séparation des pouvoirs condition indispensable d’un fonctionnement démocratique dans toute organisation. Au CNB renforcé dans ses missions légales, le pouvoir de promulguer toutes les normes professionnelles de la profession d’avocat dans le respect de la hiérarchie subsidiaire de la loi et des décrets; Aux ordres d’être l’exécutif local des décisions du CNB et tout particulièrement fixant les règles professionnelles nationales; Aux batonniers d’interpréter les règles de la profession en matière de déontologie et les interpréter (le CNB par l’intermédiaire de sa Commision des règles et usages ne peut à la fois faire la norme et livrer des avis d’interprétation sur demande des batonniers); A la juridiction disciplinaire d’interprêter également la norme et de participer à la jurisprudence ordinale sous contrôle des cours d’appel et de la Cour de cassation.

L’ANAH laisse le soin aux représentants de la profession de réfléchir sur les changements éventuels du système électoral de l’institution nationale. Juillet 2013.