RAPPORT DU GROUPE D’ÉTUDES DE L’ASSOCIATION NATIONALE DES AVOCATS HONORAIRES SUR L’AVOCAT SALARIÉ EN ENTREPRISE :
31 OCTOBRE 2016 :

Nous avons retenu ce sujet en juin 2015 au moment où la profession était amenée à se prononcer sur le projet de la loi Macron et sur la position prise par les juristes d’entreprises à propos du legal privilege. Nous avions le sentiment que tout avait été dit sur le sujet. Une nouvelle approche était nécessaire pour s’adapter au bouleversement brutal de l’économie que nous étions en train de vivre.

En 2015, la loi Macron n’a pas vu le jour. Différentes tentatives en 2016 ont été esquissées mais la profession est restée désunie.

L’assemblée du 31 mars 2016 du C.N.B. a rejeté la création d’un droit de porter le titre d’Avocat dans un statut spécial aux juristes d’entreprises avec le bénéfice du secret professionnel. Elle a proposé une modification de l’article 15 du RIN permettant à l’Avocat de situer son Cabinet dans les locaux de l’entreprise. La proposition est loin d’avoir fait l’unanimité au niveau des Ordres.

En date du 9 mai 2016, le C.N.A. a exprimé de sérieuses réserves, l’A.C.E a regretté vivement que ses observations ne soient pas prises en compte, l’U.J.A. en date du 30 juin 2016 a exprimé son impatience, quant au S.A.F., en date du 19 juillet 2016, il s’est opposé à la proposition en précisant qu’il s’agissait d’un leurre.

Notre groupe, composé d’Avocats honoraires: Jean Paul BAYLE (Bordeaux), Christian BŒUF (Dijon), Alain BLANCHOT, Jean-MIchel BRAUNSCHWEIG (Paris), Jacqueline FOUET (Paris), Daniel LANDRY (Le Mans), Christian MASSON (Orléans), Marie-Jeanne MONTOYA (Grenoble), Hérald NEYRET (Grenoble), Xavier PAUWELS (Amiens), Jean-Pierre PICARD (Dijon), Michel SOUHAITÉ (Paris), s’est remis à la tâche.

Il a auditionné :

– Certains de nos Confrères ayant approfondi la matière, tels que Jean-Louis COCUSSE (A.C.E.), Jean-Louis SCHERMANN (C.N.A.), Laurence DUPUIS (C.N.B.), Caroline de PUYSEGUR (Barreau de Paris) ;

– Madame Stéphanie FOUGOU et Monsieur Hervé DELANNOY (Présidents de l’Association Française des Juristes d’entreprises).

Nous avons planché à nouveau sur les dernières déclarations des Présidents Pascal EYDOUX et Jean-Marie BURGUBURU (CNB), des Présidents Yves MAHIU et Jean-Luc FORGET (Conférence des Bâtonniers), les dernières propositions de Denis RAYNAL (ACE) sur la création d’une liste spécifique pour les juristes d’entreprises, et sur les derniers travaux du Conseil de l’Ordre de Paris sous l’égide du Bâtonnier Frédéric SICARD à propos de la domiciliation de l’avocat dans les locaux de l’entreprise.

Nous avons pris connaissance des perspectives européennes soulignées par Michel BENICHOU, Président de la C.C.B.E.

Enfin, nous avons été attentifs au dernier rapport de Madame Joëlle SIMON Directrice du Pôle Droit de l’entreprise du MEDEF.

Toutes ces réflexions nous ont amenées à essayer de sortir de nos positions défensives et d’orienter nos suggestions sur deux axes :

1°) La demande des jeunes générations d’Avocat

Catherine LECLERC, Avocate au Barreau de Paris, après une étude que nous lui avions demandée, nous a confirmé que les préoccupations majeures des jeunes diplômés étaient la rémunération nette et les débouchés.

2°) Les besoins des entreprises

La compétitivité est le mot d’ordre :

– Adaptation à la révolution numérique ((ubérisation, économie collaborative et participative, la technologie blockchain).

– Une plus grande intégration à la stratégie des entreprises (recherche de valeur ajoutée : capacité à animer la connaissance juridique et non plus de dispenser un savoir).

– Une ouverture à la compliance (sécurité juridique des activités), à la protection du secret des affaires dans un environnement international.

La question s’est posée de savoir s’il n’est pas préférable pour la profession d’Avocat de s’approprier le thème sous l’angle de l’évolution des conditions d’exercice de la profession avec le souci d’en conserver l’unité.

Favoriser un legal privilege aux juristes d’entreprise est une structuration d’une profession parallèle à la profession d’Avocat. Rien ne semble imposer un tel choix. Par contre, apparaît un besoin particulier pour les entreprises confrontées à la concurrence internationale qui est à prendre en compte.

L’objectif pour la profession est peut-être de proposer un statut permettant à l’entreprise un choix entre le juriste en entreprise et l’Avocat en entreprise.

Ce choix ne pourrait résulter que d’une volonté de l’employeur. L’idée est que ce soit perçu par le monde de l’entreprise comme une opportunité et non comme une ingérence.

Il reste à savoir si la notion de «  libéral » ou « salarié » est prépondérante et si les piliers de la déontologie sont réellement mis à mal.

L’indépendance ne reste-t-elle pas avant tout intellectuelle plus que contractuelle ? Le respect du secret professionnel n’est-il pas plus de l’ordre d’une organisation matérielle adéquate que d’une question de principe à l’intérieur de l’entreprise. La notion de conflits d’intérêt ressort-elle du respect d’une déontologie commune quelque soit le statut d’exercice ?

Notre rapport tente de répondre à ces questions.

Enfin la profession ne devrait-elle pas établir pour l’exercice en entreprise une sorte d’accord de Partenariat avec les structures du monde de l’entreprise (MEDEF  CGPME..) ? C’est en tout cas une piste que nous avons essayé de creuser pour pénétrer concrètement dans le monde des affaires sans y perdre nos fondamentaux.

MICHEL SOUHAITÉ
Président de l’A.N.A.H.

GROUPE D’ETUDES DE L’ANAH – LE 12 OCOTBRE 2016

RAPPORT DES TRAVAUX DE LA COMMISSION SUR « L’AVOCAT SALARIÉ EN ENTREPRISE »

LE CONTEXTE

L’exercice de la profession d’avocat est en profonde mutation de par les nouvelles technologies de travail, de communication et l’internationalisation des relations. L’importance croissante du droit européen et du rôle des instances de l’Union Européenne en est l’illustration.
A l’heure où l’on parle de « marché des services juridiques » et de « marché du droit » cette mutation s’opère à un rythme accéléré.
En outre, la profession a vu croitre le nombre de ses membres par l’entrée de nombreux jeunes confrères que l’évolution de la profession concerne tout particulièrement tant en terme de développement de leur activité qu’en terme de conditions d’exercice de cette activité.
Ce thème de réflexion a fait déjà l’objet de nombreux travaux au cours des années passées. Il est redevenu d’actualité en 2015 suite aux des débats sur la loi « Macron ».

PROBLEMATIQUE ACTUELLE

Sur l’exercice de la profession de « juriste en entreprise », exercice conçu dans de la cadre du salariat, les thèses des représentants de notre profession et ceux des juristes d’entreprise s’opposent toujours.
Les représentants des « juristes d’entreprise », principalement l’AFJE et le Cercle Montesquieu, semblent avoir évolué dans leur approche et à l’intégration dans la profession d’avocat préfèrent revendiquer à présent le bénéfice d’un « legal privilege » consistant en la confidentialité des correspondances et avis des juristes d’entreprises.
Le CNB, fin mai 2015, a pris une délibération s’opposant à la reconnaissance d’un privilège de confidentialité couvrant les avis, consultations et correspondances émis par les juristes d’entreprise en leur sein et a rappelé son opposition à la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise.
Cela conduirait soit à la création d’une profession parallèle à celle d’avocat qui se verrait reconnaître un certain nombre de prérogatives dont seuls les avocats bénéficient à ce jour, soit à la création, au sein de la profession d’avocats, d’une catégorie d’avocats ne bénéficiant que ce certaines prérogatives attachées à son plein exercice.

SUR L’ETAT ACTUEL DE LA POSITION DES DIFFERENTES PARTIES CONCERNEES

Les auditions de différents intervenants directement concernés ou ayant travaillé sur le thème choisi afin de rechercher à mieux appréhender la position actuelle de chacun sur « l’avocat salarié en entreprise », voire plus généralement sur la notion d’exercice de la profession de « juriste en entreprise », ont permis de recevoir des représentants de la profession d’avocat, des juristes d’entreprise et du monde de l’entreprise.
Au terme de ces auditions, chacun semblait rester sur les postions adoptées à l’occasion du débat tenu sur la question de l’intégration au barreau des juristes d’entreprises il y a une dizaine d’années.
Quant aux jeunes avocats intégrants la profession leurs préoccupations semblaient s’exprimer principalement en termes de débouché et de rémunération.
De cela pouvait ressortir un sentiment que tout avait déjà été dit sur le sujet et que les difficultés restaient les mêmes et ce, alors même que le contexte et les modalités d’exécution de la profession d’avocat ont fortement évoluées, évolution devant encore s’accélérer dans les années à venir.
Si l’on choisit de ne pas en rester aux positions de principe tendant soit au refus de la conception même d’un avocat exerçant en entreprise soit à l’impossibilité de tout salariat en entreprise pour un avocat en raison des principes essentiels régissant la profession d’avocat que l’on peut résumer par les termes d’indépendance, secret professionnel et conflit d’intérêts, la question peut se poser sur le fait de savoir s’il ne serait pas préférable pour la profession d’avocat de s’approprier le thème sous l’angle de l’évolution à venir des conditions d’exercice de la profession avec le souci d’en conserver l’unité plutôt que rester à une position pouvant être ressentie comme étant sur « la défensive ».
Il faut tout d’abord s’entendre sur la notion de « juriste d’entreprise » pour examiner la notion « d’avocat salarié en entreprise ».
Pour définir la notion de « juriste d’entreprise » le groupe d’étude estime pouvoir rester sur les critères résultant des dispositions de l’article 98.3 du décret du 27 novembre 1991 et à la jurisprudence s’en dégageant (dispositions dites de « la passerelle »).
Il ne s’agit donc pas de toute personne salariée travaillant au sein d’une entreprise dans le domaine du droit.
Il s’agit de juristes salariés travaillant de façon effective, permanente et exclusive dans un service spécialisé et structuré d’une entreprise, entité à fin économique, pour les seuls besoins de cette entreprise et non de sa clientèle.
L’article 58 de la loi du 31 décembre 1971 précise qu’ils peuvent au profit exclusif de l’entreprise qui les emploie ou de toute entreprise du groupe auquel elle appartient, donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé relevant de l’activité desdites entreprises.
Les juristes d’entreprise font partie des personnes visées par l’article 55 (alinéa 2) de cette même loi qui doivent respecter le secret professionnel conformément aux dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal et s’interdire d’intervenir en cas d’intérêt direct ou indirect à l’objet de la prestation fournie.
A la différence des avocats, ils ne disposent pas d’une confidentialité de leur échange et de leur avis, car ils ne rentrent pas dans le champ d’application des dispositions de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 précisant le domaine d’application du secret professionnel dans le cadre de l’exercice de la profession d’avocat.
Pour ce qui est de la notion « d’entreprise », elle s’entendra, de fait, comme une entité à fin économique ce qui peut couvrir diverses configurations.
A l’évidence, cela concerne un nombre limité de salariés et des entreprises ayant déjà une certaine taille.
Si l’on prend en compte, en outre, le fait que la revendication de se voir reconnaître un « legal privilege » est portée principalement par les juristes des entreprises ayant une activité avec les Etats Unis ou certains autres états étrangers, le nombre de salariés concernés est encore plus restreint.
Le « legal privilege » est une règle de « privilège de confidentialité » créée en réaction à un contexte procédural spécifique existant dans certains pays, qui impose la production des pièces tant favorables que défavorables, contexte qui n’existe pas en droit français.
Le « legal privilege » est conçu comme un droit au bénéfice du client à la différence du secret professionnel qui est une obligation générale pesant sur l’avocat.
Il a pour objectif de permettre de refuser la communication de document.
Le « legal privilege » s’attache d’avantage au contenu de documents qu’à son auteur ou son destinataire. Il faut en définir le champ d’application, tous les documents ne pouvant en relever, avec la source de litiges potentiels que l’on imagine pouvant naître de son application instaurant ainsi un quasi précontentieux de communicabilité de pièce.
De façon très synthétique l’enjeu qu’il recouvre pourrait se résumer à : qui irait donner à son conseil des éléments qu’il pourrait potentiellement voir se retourner contre lui et comment donner un réel conseil sans avoir tous les éléments ?
Pour les juristes d’entreprise le « legal privilege » devrait couvrir de « confidentialité » leurs avis juridiques et leurs échanges entre juristes d’entreprise différentes voire avec les avocats.
Ce débat sur l’octroi d’un « legal privilege » ou « privilège de confidentialité » résulte d’initiatives mobilisant les instances représentants les juristes d’entreprise principalement l’AFJE et le Cercle Montesquieu.
Cette revendication résulte de l’évolution de la position des instances regroupant les « juristes d’entreprise », position qui s’est éloignée de la recherche pure et simple de l’intégration au barreau des « juristes d’entreprise ».

L’octroi aux juristes d’entreprise d’un « legal privilège » semble davantage procéder de la structuration d’une profession parallèle à celle d’avocat. En ce sens, l’AFJE a déjà adopté un code de déontologie.
Il semble difficile que la profession d’avocat fasse d’un tel octroi un objectif d’évolution de son exercice pour l’avenir.
Rien ne semble imposer un tel système en droit procédural français.
On peut rappeler que la profession d’avocat est elle-même confrontée à ces problèmes de confidentialité dans le cadre de relation internationale avec des pays n’ayant pas les mêmes règles. L’avocat doit même prendre toute précaution en s’assurant préalablement du régime couvrant alors ses échanges (RIN art. 3.4).
Dans le même sens on peut rappeler également que le régime de confidentialité entre avocats français est l’inverse de celui prévu entre les avocats de l’U.E. par le code de déontologie des avocats européens (art 21.5.3).
Des formes de procédures en certaines matières (droit participatif, droit collaboratif, médiation), organisent leurs propres règles de confidentialité indépendamment de la qualité des participants.

Pour autant, la question semble correspondre à un souhait voire une nécessité de certaines entreprises. La réflexion devrait donc s’orienter en ce sens.
Sur la question on connait essentiellement la position des grandes entreprises qui semblent être les principales intéressées.
L’objectif pourrait être pour la profession, si elle y voit un intérêt, de prendre en compte ce besoin ou cette nécessité et de proposer sa solution aux entreprises dans le respect des critères impératifs la régissant, l’unité et les intérêts de toute la profession.
Pour la profession d’avocat le respect de ces critères s’impose car il fonde la profession qui se doit de préserver son unité car elle recouvre bien d’autres domaines d’intervention que celui s’attachant à l’activité de « juriste d’entreprise ».
Il faudrait également que la profession alors s’attache à présenter aux entreprises ces critères comme un avantage et non comme des difficultés pouvant être ressenties en outre comme une ingérence dans le fonctionnement de l’entreprise, ce qui semble être une des craintes manifestées par le Medef sur le concept « d’avocat en entreprise ».
Cela semble militer pour l’appréhension du thème dans la cadre d’une évolution de la profession d’avocat plus que dans la recherche de solutions spécifiques cherchant à régler la situation ponctuelle de certains juristes d’entreprise.
Une telle appréhension pourrait constituer peut-être un moindre risque de se voir imposer d’office une solution par le législateur, alors que s’élaborent par ailleurs les textes devant régir l’interprofessionnalité.
Le thème est aussi en lien direct avec les discussions dans le cadre du projet de loi Justice du XXIème siècle sur le statut de consultant juridique étranger.
Cela pourrait peut-être participer de la volonté de créer une grande profession du droit qui demeure sous-jacente dans toute réflexion sur l’évolution de la profession.

LA RECHERCHE D’UNE INITIATIVE DES AVOCATS

On peut penser qu’avec les travaux déjà effectués tout a été dit et écrit. Les auditions des différents intervenants concernés ont pu laisser ce même sentiment.
Mais, il est toujours envisageable d’émettre des suggestions pour orienter une possible réflexion.
Du fait tant de la diversité du monde des entreprises que de la nécessité de respecter l’autonomie de gestion et de direction des entreprises, il paraît peu réaliste d’envisager, en l’état, une voie exclusive cherchant à faire disparaître la notion même de juriste d’entreprise en lui substituant celle d’avocat en entreprise.
Cela pourrait être une étape ultérieure.
L’objectif pour la profession pourrait être, dans un premier temps, de proposer un statut permettant à l’entreprise un choix entre le juriste en entreprise et l’avocat en entreprise.
Ce choix ne pourrait résulter que d’une volonté de l’employeur car il est à craindre que vouloir imposer un statut d’avocat en entreprise pour toute embauche de juriste en entreprise soit utopiste et ressenti, par le monde de l’entreprise, comme une ingérence plus que comme une opportunité.
La création d’une profession structurée de « juriste d’entreprise » parallèlement à celle d’avocat n’apparait pas souhaitable et cela conduit à militer pour le refus de tout octroi de « legal privilege » ou de « confidentialité des échanges et des avis » aux juristes d’entreprise.
Cela devrait sans doute conduire, à l’issue d’une période transitoire permettant aux juristes d’entreprise de faire valoir leur droit au regard du régime actuel existant, à la remise en cause de « la passerelle  » mécanisme qui fait quitter à un juriste d’entreprise le monde de l’entreprise pour intégrer la profession d’avocat.
Le but pourrait être d’offrir à l’entreprise un choix, selon ce qui lui paraîtrait le plus profitable pour ses intérêts, entre le juriste d’entreprise sans prérogative particulière et l’avocat en entreprise avec les garanties liées à la profession et sans passerelle entre les deux.
A ce stade, il n’est pas certain que la question du statut de l’avocat en entreprise, libéral ou salarié, soit forcément prépondérante.
Il semble que la question serait plus de définir d’abord comment les critères impératifs de la profession sont susceptibles d’être pris en compte par l’exercice de la profession d’avocat en entreprise.
Si cette approche s’avère positive, le statut interviendrait alors plus au niveau des modalités particulières à mettre en œuvre au titre d’ajustement législatif ou sur des questions particulière comme, par exemple, l’organisation matérielle, l’assurance professionnelle ou les diverses affiliations et cotisations.
A cette fin, un examen des critères essentiels de la profession au regard de l’exercice en entreprise peut être envisagé.
– indépendance
L’article 1 de la loi du 31 décembre 1971 stipule que la profession d’avocat est une profession libérale et indépendante.
L’article 2 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles déontologiques reprend les mêmes termes en spécifiant quel que soit son mode d’exercice.
Une profession libérale est une profession qui s’exerce à titre personnel sous sa propre responsabilité et de façon professionnellement indépendante.
Il semble que cela exclu tout notion de relation salariale alors que pourtant la possibilité d’exercice sous forme salariale existe pour un collaborateur au sein d’un cabinet d’avocat. Seules les conditions de travail font l’objet du contrat de travail.
Le critère d’indépendance ne serait donc pas affecté par l’existence d’un contrat de travail, et donc l’existence d’un lien de subordination, « interne à la profession ».
C’est à l’égard du « client » de l’avocat que ce critère semble poser difficulté quelque soit la forme du statut envisagé.
On peut relever que ce critère d’indépendance absolue figure dans le code de déontologie des avocats européen qui concernent les avocats de l’Union Européenne (art. 21.2.1). Dans la mesure où certains états membres reconnaissent le statut d’avocat salarié en entreprise, on peut penser que ce critère ne serait pas par essence contraire au statut de salarié.
Les arrêts de la CJUE laissent à penser le contraire pourtant. Pour elle, du fait tant de la dépendance économique de l’avocat interne (à l’entreprise) que des liens étroits avec son employeur, l’avocat interne ne jouirait pas d’une indépendance professionnelle comparable à l’avocat externe (à l’entreprise).
Mais une telle analyse ne vaudrait-elle pas également sur une comparaison entre l’indépendance professionnelle de l’avocat collaborateur salarié qui n’a pas le droit d’avoir de clientèle personnelle, et celle de l’avocat libéral ayant son propre cabinet ?
Les décisions de la CJUE pourraient plus relever de la seule affirmation d’un principe et du fonctionnement propre de représentation devant la Cour. Chaque Etat reste maître de définir des conditions d’exercice en droit interne.
On peut relever que la CJUE semble conforter une perte d’indépendance à une situation de l’avocat salarié proche de l’organe de direction de l’entreprise alors que du point de vue du contrat de travail une telle situation peut être invoquée comme faisant disparaître le lien de subordination avec les effets qui s’y attachent.
Tout semble reposer sur l’interprétation de la notion « d’indépendance » et certain propose de dissocier la notion en indépendance économique et indépendance intellectuelle.
Pour l’indépendance économique il y a bien des situations où l’avocat libéral se trouve dans un contexte qu’il maitrise mal, voire pas du tout. A ce niveau, l’existence du salariat n’est pas forcément bien différent, voire serait considéré comme plus protecteur.
C’est ce que l’on peut ressentir à la lecture de la jurisprudence intervenue sur la question de la qualification des liens entre un avocat et un collaborateur.
L’avocat collaborateur salarié aurait choisi un mode d’exercice professionnel plus protecteur que celui de l’avocat libéral, moyen en quoi il aurait choisi en contrepartie un lien de subordination et l’absence de clientèle personnelle, restrictions communément admises en droit du travail.
Pour l’indépendance intellectuelle, il paraît difficile de considérer qu’elle n’existerait pas par principe du fait de l’existence d’un contrat de travail. Des exemples existent pour certaines professions tendant à illustrer le contraire.
C’est oublier peut-être aussi que l’avocat en entreprise ne sera pas le décideur au final au sein de l’entreprise.
L’indépendance intellectuelle peut aussi résulter du degré de compétence du salarié et donc se pose la question des conditions de sa formation.
On entrevoit que le critère d’indépendance comporte une part de subjectivité évoluant au cours du temps.
En définitive, la question de l’indépendance ne pourrait elle pas se résumer à la possibilité pour l’avocat de dire « non » quel que soit son statut d’exercice ?
La question est abordée pour l’avocat collaborateur salarié (RIN art. 14).
Le Medef semble réticent à toute clause de conscience qui entrainerait une rupture du contrat assimilable à un licenciement.
Mais cela ne concerne-t-il pas davantage le règlement des difficultés pouvant surgir comme dans toute autres situations ? Ces difficultés doivent-elles devenir critères d’impossibilité ou s’agit-il simplement d’y apporter une solution ?
Rien ne semble s’opposer à ce que les mécanismes classiques de solution des litiges ne s’appliquent en la matière y compris si cela nécessite, si besoin, l’intervention du Bâtonnier.
– Secret professionnel
A priori le statut libéral ou salarié ne devrait pas affecter cette obligation de l’avocat.
Ce devrait être un plus pour l’entreprise tant au niveau interne que dans ses relations externes.
L’avocat libéral actuel est déjà confronté au respect de cette obligation par le personnel de son cabinet non lié par celle-ci.
L’avocat en entreprise le sera également en ce qui concerne le personnel de l’entreprise.
Le respect de cette obligation relève semble-t-il plus de la mise en œuvre d’une organisation matérielle adéquate que d’une question de principe.
Il conviendrait que les organes de la profession d’avocat définissent les conditions de cette organisation matérielle.
La question sous-jacente de la confidentialité des échanges peut être source de difficultés du fait que l’avocat en entreprise peut avoir plusieurs interlocuteurs. Il faudra sans doute délimiter au sein de l’entreprise l’étendue de cette notion de confidentialité des échanges.
Le respect de cette obligation est sanctionné pénalement et le fait que l’avocat soit en entreprise ne semble pas faire obstacle à cela.
Il restera à articuler l’aspect disciplinaire et les conditions d’intervention de l’Ordre. Mais cette question ne se pose-t-elle pas pour toute profession réglementée qui exercerait en entreprise.
– Conflits d’intérêts
La règle de principe semble s’imposer déjà aux juristes d’entreprise (art 55 et 58 du décret du 27/11/1991). Ils doivent « s’interdire d’intervenir » s’ils ont « un intérêt direct ou indirect à l’objet de la prestation fournie ».
La situation ne serait donc pas nouvelle pour l’avocat en entreprise.
La question semble surtout en lien avec le respect des règles de déontologie auxquelles l’avocat en entreprise serait soumis indépendamment de son statut d’exercice.

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De cette examen, il semble ressortir que de nombreuses questions relèvent, soit d’organisation matérielle, soit trouvent leur solution dans l’application des règles déontologiques régissant la professions, dont notamment la question de l’exercice de la plaidoirie.
A cet égard, il pourrait paraître contradictoire de vouloir conserver l’unité de la profession et d’envisager la possibilité que certains avocats se verraient priver de l’exercice de certaines de leurs prérogatives, dont la plaidoirie, ce qui reviendrait à créer une catégorie spécifique d’avocat.
N’est ce pas justement cette volonté d’unité de la profession qui conduit à s’opposer à l’attribution d’un « privilège de confidentialité » aux correspondances et avis des juristes d’entreprises.
Devant les juridictions sans représentation obligatoire les entreprises ne semblent pas particulièrement user de leur droit d’être représentée par une personne non avocat.
Elles ne semblent pas vouloir user de la possibilité que les parties ont de présenter personnellement leur explication sur autorisation du juge devant les juridictions avec représentation obligatoire.
Mais insister sur le respect de critères impératifs sous-tend la volonté et la mise en œuvre des moyens d’en assurer le respect. Ce doit être une volonté corrélative de la profession.

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En définitive, la profession ne pourrait-elle pas réfléchir d’abord à établir pour l’exercice en entreprise une sorte de convention de partenariat qui reprendrait le respect des critères impératifs sur la base de solutions proposées par la profession avec suffisamment de souplesse pour s’adapter aux différents formes et activité des entreprises.
Cette réflexion, pour avoir une meilleure chance d’aboutir, devrait se faire en lien avec les structures représentant le monde des entreprises.
Ce ne serait que sur la base de cette convention que le ou les statuts de « l’avocat en entreprise » pourraient être alors définis.
Le juriste d’entreprise est un acteur de la vie économique quotidienne de l’entreprise ce que n’est pas l’avocat actuel. Le juriste d’entreprise est donc intégré au mode de fonctionnement et aux perspectives de l’entreprise qui doit s’adapter continuellement aux évolutions du « marché ».
Il semble que cet élément doit bien être appréhendé si la profession d’avocat envisage de proposer une intervention de l’avocat en « interne » par le biais de l’avocat en entreprise afin que le contexte de cette intervention soit perçu comme une réelle opportunité pour le monde de l’entreprise.

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Ce pourrait être à l’issue de cette recherche de convention de partenariat, si pour aboutir, des points de blocage subsistaient et ne pouvaient être solutionnés en l’état actuel des contraintes de chacun des partenaires, que l’étude d’une adaptation des certaines règles pourraient être envisagées si nécessaire.
Mais ces adaptations seraient alors définies pour concourir à faire aboutir concrètement une convention de partenariat recherchée et souhaitée par chacun des partenaires et non dans un contexte général susceptible sans doute alors de poser autant de problèmes d’application que ces adaptations ne seraient censées en résoudre.

Rapporteur
H.Neyret